Etats Unis : les « Américains oubliés » voient rouge

jeudi 23 mai 2019

Le blog « Rapports de forces » a publié mi-janvier une enquête sur la contestation
exceptionnelle des enseignants de Los Angeles, qui étaient plus de 30 000 à être en grève lundi 14 janvier et 20 000 (selon la police) à manifester vers la mairie accompagnés de
parents, et de personnels d’éducation. Et ce après avoir formé des piquets de grève partout
devant les établissements scolaires publics de la ville.

En Californie, le financement public par élève est la moitié de celui de l’Etat de New York et
les enseignants dénoncent des effectifs pouvant atteindre 50 élèves par classe pour une moyenne de 42. Ils demandaient non seulement des embauches, mais aussi des infirmières et des bibliothécaires dans tous les collèges et lycées, ainsi qu’une augmentation salariale de l’ordre de 6,5%, et se sont déclarés prêts à partir en grève illimitée tant que les négociations entre les représentants du district et le syndicat « United teachers of Los Angeles » n’aboutissent pas.

Un mouvement social qui s’est étendu

Dans un pays où les enseignants ne sont pas employés par l’Etat fédéral, les conditions de
travail et les rémunérations sont variables dans le pays et les actions concertées à l’échelle
nationale sont très difficiles. Néanmoins, les Etats-Unis ont bien connu une vague de
contestations depuis un an partie de la Virginie-Occidentale comme le démontre l’enquête
publiée en septembre dernier dans Le Monde Diplomatique.
Ainsi là où les salaires enseignants ont baissé de 8,9% en valeur réelle depuis 2000, où les
cotisations à l’assurance-maladie ne cessent d’augmenter, un groupe d’enseignants a
commencé à s’organiser pour répondre à la dégradation de leur situation économique et
sociale en novembre 201 7 et en marge du principal syndicat d’enseignants local. Après
avoir créé des réseaux militants décentralisés grâce à Internet, les enseignants ont fait voter
dans toutes les écoles une proposition de débrayage. Et à partir de la fin février 201 8, les
55 comtés de Virginie-Occidentale ont cessé le travail pour obtenir après 9 jours de débrayage une augmentation salariale de 5% pour le personnel enseignant et non enseignant, un moratoire sur l’augmentation des cotisations maladie et l’arrêt du projet d’expansion des écoles privées sous contrat.
Ce succès a permis d’étendre la grève à d’autres Etats, avec des doléances relatives à la faiblesse des salaires, le manque de moyens, la dégradation des conditions de travail,
l’insuffisance des mécanismes de protection sociale, la privatisation du système
d’enseignement public. Certaines grèves ont été ponctuelles, d’autres ont duré jusqu’à 1 5 jours et plusieurs ont obtenu des augmentations salariales (de 2% dans le Colorado à 20% étalés sur 3 ans en Arizona) et des promesses de moyens supplémentaires dans les classes ainsi qu’une hausse des dépenses d’éducation qui les ramènent à leur niveau d’avant 2008 votée dans le Colorado.

En marge des organisations bureaucratiques

Même si des spécificités locales ont pu jouer, les grèves ont poussé dans des Etats où le métier est particulièrement rude voire effarant : dans le Mississippi, certains enseignants doivent cumuler deux ou trois emplois pour boucler leurs fins de mois.
Et autre fait marquant, le mouvement s’est développé en marge des organisations syndicales bureaucratiques qu’il a pris au dépourvu. Selon un journaliste américain, nombre des syndicats affiliés à la National Education Association sont purement légalistes, et se concentrent sur la prestation de services en direction des adhérents en faisant pression sur les élus en s’appuyant sur des professionnels de la communication. En Arizona les meneurs de la grève, Arizona Educator United, se sont constitués parallèlement à l’Arizona Education Association en utilisant les réseaux sociaux pour compenser la faiblesse des structures.

Un sursaut des mouvements sociaux

La mobilisation des enseignants américains s’inscrit dans un sursaut récent des mouvements
sociaux : longue grève des salariés du public dans le Wisconsin en 201 1 , Occupy Wall Street
en 2011 , lutte des salariés de la restauration pour une hausse du salaire minimum à partir de 2013... En septembre 2012, les 30 milliers d’enseignants de Chicago avaient déjà cessé le travail après l’échec des négociations de leur nouvelle convention collective. Cette grève avait
débouché sur une victoire avec des revalorisations salariales et l’abandon des primes au mérite entre autres. Les animateurs de ce mouvement témoignent de ce qu’il faut
impérativement obtenir le soutien des parents et de la collectivité, en tissant des liens solides
dans des comités de proximité avec tables d’information, piquet de grève, distribution de
repas… Et ils arborent un rouge emblématique du mouvement Red for Ed (« les Rouges pour
l’éducation »). Le Monde Diplo conclut en soulignant que le mouvement a commencé à déborder des salles de classe puisqu’en juillet dernier, près de 2000 infirmières et aide-soignantes du Vermont se sont mises 2 jours en grève pour des hausses de
salaire et une couverture maladie universelle pour les patients. Les « Rouges pour la
médecine » ont su constituer un mouvement de solidarité autour d’elles parmi lesquels de
nombreux responsables des mouvements d’enseignants.
Le choix du rouge est associée à la fois à la tradition socialiste et au Parti Républicain qui
gouverne de nombreux Etats d’un pays où les continuités idéologiques entre républicains et
démocrates en matière d’éducation et de privatisation de services publics sont notoires. Et
dont on sait que ces derniers n’hésiteront pas à affronter les contestataires s’ils menacent leurs visées électorales.
Des USA à la France, un océan peut-être mais peut-être pas des kilomètres si on compare les contextes politiques et sociaux. Le red est là-bas, ici on a le blues.
Pour l’instant seulement ?


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