SNU : Service National Ubuesque

dimanche 29 septembre 2019
par  sudeducation29

C’était il y a un peu plus de trois mois, à Evreux. Ce jour là, plusieurs jeunes volontaires au Service National Universel ont dû rester debout sur les marches de l’hôtel de ville, pendant l’inauguration d’une statue du général De Gaule. Pendant une heure immobiles, sous un soleil de plomb, un peu moins d’une trentaine d’entre eux ont fait un malaise. Dans un communiqué, la préfecture a estimé que ces malaises avaient pu être causés par « une forme d’émotion liée au caractère solennel de la cérémonie, au cours de laquelle les appelés devaient entonner la Marseillaise. » Devant une explication si ubuesque, c’est la consternation qui s’impose. La colère ne tarde pas à la suivre.

Annoncé en juin 2018, le SNU se compose de deux semaines dans une brigade de jeunes encadrés par des militaires, suivies de deux autres semaines de mission d’intérêt général. Les jeunes qui le souhaiteront pourront ensuite « s’engager » pour une durée d’au moins trois mois, dans les armées, la police, la sécurité civile… ou dans une autre structure par le biais d’un service civique. Si le dispositif n’a pour le moment concerné que 2 000 volontaires, la volonté du gouvernement est de rendre les deux premières phases obligatoires pour l’ensemble des jeunes de 16 à 18 ans d’ici 2023 ou 2024. À celles ou ceux qui ne souhaiteraient pas lever les couleurs et chanter la Marseillaise tous les matins, l’impossibilité de passer le permis, les examens et concours nationaux. Ce chantage révoltant n’a pas été sans faire grincer certaines dents, et il est déjà des voix, comme celle de la journaliste Louise Tourret, pour demander un « droit familial à l’objection de conscience » [1]. Espérons qu’il y en ait bien d’autres pour réclamer un abandon pur et simple de cette machine d’embrigadement militariste et délétère.

Un reportage photo disponible sur le site de Libération [2] est équivoque en ce qui concerne le contenu de la première phase du SNU. Si des ateliers autours des questions écologiques sont menés, on remarque principalement le lever des couleurs les bivouacs militaires, les cours de self-défense… Le « parcours de santé » consiste à ramper sous des ficelles tendues à 40 centimètres du sol, à tracter un pneu de camion avec des cordes… un vrai parcours du combattant. Les règles sont strictes et arbitraires. Un membre du groupe met les mains sans ses poches, et ce sera dix pompes pour toute sa compagnie. Et pendant la journée, les téléphones portables sont interdits. Difficile de ne pas y voir un bon moyen de s’assurer un contrôle efficace des images diffusées sur les réseaux.

Dans les années à venir, le gouvernement souhaite augmenter le nombre de participant·e·s au dispositif, jusqu’à 400 000 en 2022. Il lui faudra alors rendre la participation obligatoire à certains jeunes, et pas à d’autres, avant une obligation de présence pour toutes et tous entre 2023 et 2026. Parmi les objectifs de ce projet promu par l’Éducation Nationale [3] on lit « développer une culture de l’engagement », mais quelle leçon d’engagement la jeunesse a-t-elle à recevoir lorsque, par exemple, elle manifeste si hardiment contre le dérèglement climatique ? [4] Il n’est pas question, à travers le SNU, de transmettre une culture de l’engagement, mais bien des valeurs, et de mater une jeunesse politisée dans le mauvais sens. Ce projet s’imposerait avant tout comme un outil de contrôle, et on comprend les efforts déployés par ses porteurs pour le rendre désirable aux yeux des collégiens et lycéens. Le gouvernement a en effet fait appel à des influenceurs bien connus issus de YouTube ou Instagram. Sundy Jules parle ainsi d’un « truc trop cool, trop stylé », Tibo InShape discute avec Gabriel Attal et se met en scène en Guyane aux côtés des volontaires… La propagande gouvernementale bat son plein avec la complicité de ces stars du web.

Une autre volonté autoproclamée de Gabriel Attal est de favoriser la mixité sociale. Créer un « vrai moment de cohésion et de creuset républicain ». [5] S’il est a priori difficile de réfuter cet argument, il est intéressant de se rappeler que ces considérations se sont particulièrement développées à partir des émeutes des banlieues en 2005. Dans la bouche de certain·e·s, favoriser la mixité sociale rime encore avec civiliser des « territoires perdus », en l’occurrence avec le concours de l’armée, dans la plus pure tradition coloniale. On est alors en droit de s’interroger sur les conditions d’accueil des jeunes racisé·e·s au sein d’un dispositif chaperonné par un corps de métier votant massivement à l’extrême-droite. [6]

Enfin, le SNU révolte par son coût : 1,6 milliards d’euros par an. Autant d’argent qui n’irait pas dans l’enseignement (il est même question que cette somme soit ponctionnée au budget de l’Éducation Nationale) ou dans le soutien aux associations qui, pour le coup, peuvent être de formidables outils de brassage social. À l’heure où 1 million de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté, où les universités tombent en ruines, où 33 élèves s’entassent dans des classes vétustes, où des enfants handicapés sont privés d’AVS, où des réfugiés sont privés de toit, et où tant d’autres choses vont de travers, une telle dépense destinée à l’endoctrinement patriotique et militariste de la jeunesse mérite toute notre indignation.

Il nous faudra suivre avec attention l’évolution du SNU, et apporter notre soutien à tous les jeunes concernés qui se mobiliseront contre ce dangereux projets réactionnaire.



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