Conte du crépuscule (social)

Réforme Châtel
vendredi 15 janvier 2010

Il était une fois...

Un pays où régnait un Prince dur avec les pauvres et bienveillant à l’égard des plus fortunés. Homme épris de justice, ce Prince souffrait mille morts de voir les gens de bien (et de biens) tourmentés par le fisc alors que les miséreux faisaient ripaille dans la plus grande insouciance.

Il décida donc de mettre fin à ce scandale.

Il n’était plus temps de voir les vilains faire bombance au prix des sacrifices imposés aux plus riches. Sinon les plus talentueux seraient contraints de s’exiler dans d’autres royaumes. Ainsi fut-il décrété que les gens ayant fortune seraient dispensés de payer leur écot au fisc au-delà de ce qui leur semblait raisonnable. On nomma cela « bouclier fiscal ». Et les choses rentrèrent dans l’ordre. Les pauvres le devinrent davantage et les riches retrouvèrent cette aisance dont, jamais, ils ne devraient être privés.

La fête était finie. Mais de cette situation les coffres de l’Etat pâtirent car les sources fiscales se tarirent et les espèces vinrent à manquer. Le Prince en fut fort mécontent et déclara que les personnes de basse condition coûtaient encore trop cher, et que par des « réformes » il fallait mettre fin aux largesses dont, sans vergogne, ils se repaissaient.
2Le pays des réformes2
Et des réformes, il y en eut de toute sorte. Ainsi, en ce temps-là, il était coutume qu’une partie de la jeunesse puisse étudier sans (trop) bourse délier. C’était là occasion de grandes dépenses, car il fallait une foule de maîtres pour assurer ce qu’on appelait « service public d’éducation ». Cette générosité, ne pouvait-on se l’épargner ?

Cependant on le sait, le croquant est volontiers rancunier, et, pour peu qu’on l’échauffe, il prétend défendre ce qu’il considère, à tort, comme son droit, et se montre toujours prompt à trancher les têtes de ses maîtres pour les disposer au bout d’une pique. Il fallait donc trouver quelque artifice qui permît de s’éviter une nouvelle jacquerie. Le Prince étant passé maître dans l’art de la dissimulation, il fit courir le bruit qu’il n’était plus grand défenseur de la jeunesse que lui, de cette jeunesse dont l’avenir était mis en péril par un enseignement vétuste, et qu’il n’y avait de tâche plus urgente que de rebâtir un édifice scolaire par trop vermoulu. Il nomma cela « réforme des lycées ».

Dès lors le Prince décréta :
 Que pour contribuer à une meilleure éducation des écoliers on réduirait le temps consacré aux enseignements. Car il est communément admis que moins l’on apprend, plus on est savant. Le Prince n’en était-il pas lui-même l’illustration vivante ?
 Qu’afin d’enrichir la culture générale de la jeunesse, on garantirait à tous un « tronc commun de connaissances » réduit à quelques matières, ce qui permettrait d’éviter aux écoliers toutes sortes de savoirs superflus comme les langues anciennes, par exemple, dont on pourrait ainsi officialiser le décès, ou alors quelques langues moins anciennes, mais d’une utilité douteuse. Car il est communément admis qu’un anglois de communication est
amplement suffisant pour faire commerce dans le monde. Le Prince n’en était-il pas lui-même l’illustration vivante ?
 Qu’afin de ne point encombrer les jeunes cervelles e savoirs sans intérêt, on pouvait réduire « les enseignements dits de détermination » à la portion congrue. Les sciences économiques et sociales par exemple, dont on tenait (trop souvent à tort) les maîtres pour de fieffés coquins toujours prompts à encourager la sédition. Car il est communément
admis que moins est encouragé l’esprit critique, plus l’on est disposé à subir ou à exercer l’autorité. Le Prince n’en était-il pas lui-même l’illustration vivante ?
 Que, parce que les écoliers devaient concentrer leur attention sur les matières qui peuvent contribuer à la prospérité du pays, on pouvait supprimer tout enseignement optionnel.
Car il est communément admis que tout savoir ou toute pratique qui ne sont pas des compétences au service de la compétition générale sont sans objet et propres
à encourager la mollesse à laquelle sont naturellement portées les classes populaires. La lecture de La princesse de Clèves ou d’autres vieilleries de même farine n’avait jamais été propice à la réussite dans les affaires. Le Prince n’en était-il pas lui-même l’illustration vivante ?
 Que pour aider les écoliers à réussir dans leurs études, on remplacerait une partie des enseignements traditionnels par des « accompagnements personnalisés » pour lesquels il n’était plus besoin de rémunérer des maîtres trop grassement payés, auxquels on pourrait avantageusement substituer des étudiants ou des personnes sans statut, moins coûteux et faciles à licencier. Car il est communément admis que les gens de peu se contentent du
peu qu’on leur donne. Mais là, le Prince n’en était pas lui-même l’illustration vivante...

Ainsi fut fait.

Alors, après avoir vérifié que ses archers étaient prêts à ramener à la raison les quelques manants toujours enclins à la rébellion, le Prince crut qu’il pourrait s’endormir sur ses deux oreilles...


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