Le conseil pédagogique ou la caporalisation de l’enseignement secondaire

samedi 6 mars 2010

Formellement en place depuis 2005 suite à la loi Fillon du 23 Avril, mais jusque-là mis en veilleuse par la mobilisation de nombreux enseignants, la réactivation annoncée du Conseil Pédagogique est bien la pièce maîtresse de la réforme Châtel car il est l’instance qui lui donnera les moyens d’atteindre ses objectifs structurels à long terme.

Un renforcement du pouvoir de la hiérarchie

Initié après une demande insistante du SNPDEN (syndicat majoritaire des chefs d’établissements membre de l’UNSA-Education) qui réclamait une instance supplémentaire pour encadrer les enseignants, sous couvert d’une "meilleure concertation dans la préparation du projet d’établissement", le "CP" élargit de fait les compétences des chefs d’établissements au domaine pédagogique et renforce largement leurs prérogatives.
Selon le texte des décrets au J.O du 28/01/2010, il se composera d’enseignants volontaires choisis par le chef d’établissement qui représenteront chaque niveau d’enseignement et chaque "champ disciplinaire", d’un CPE et du chef d’établissement qui préside (évidemment !) Il se réunira au moins trois fois par an et plus si le chef le juge nécessaire et fera des propositions sur les dotations, l’organisation et l’évaluation des activités pédagogiques, abordera toute question pédagogique à la demande du chef, du CA ou de la Commission Permanente. Ces propositions seront soumises au vote du Conseil d’Administration, le CP n’a de valeur que consultative. Précisons tout de même que " dans le cas où le CA rejette la seconde proposition relative à l’emploi des dotations d’heures d’enseignement et d’accompagnement personnalisé qui lui est soumise, le chef d’établissement en arrête l’emploi ". Voilà qui a le mérite de la clarté !

Une concurrence généralisée

Continuons dans la recherche de la clarté derrière les enrobages du communiquant ministre-DRH, et intéressons-nous à deux dimensions majeures de la vocation du CP.
D’abord, il introduira une concurrence généralisée des activités, à l’interne et à l’externe. En proposant la ventilation des 10h30 hebdomadaires entre les disciplines (grâce à l’autonomie des établissements, tout se tient), il peut privilégier la création de petits groupes pour l’accompagnement personnalisé au détriment de l’enseignement par discipline, ou l’inverse : ce qui pourrait donner de l’accompagnement personnalisé dans des groupes à 35 élèves ! Il peut aussi spécialiser le lycée dans les langues vivantes à partir de groupes à faibles effectifs, ou inversement privilégier d’autres "champs disciplinaires" scientifiques, par exemple. L’essentiel réside surtout dans l’adoption d’une démarche permanente de spécialisation et d’évaluation, qui valorisera ou décrédibilisera arbitrairement le travail de certains enseignants ou équipes enseignantes dans l’établissement, et qui consacrera l’avènement d’une hiérarchie intermédiaire à vocation managériale, outil parfait pour entretenir les rivalités et les angoisses diffuses à l’interne parmi les collègues. Et à l’externe, l’exacerbation des disparités entre lycées est à prévoir alors que la suppression de la carte scolaire a déjà bien entamé le processus : façade-vitrine ou façade-repoussoir, parfois à grand renfort d’effets de manche à dimension locale (et plus ou moins gourmands en moyens !) destinés à épater le public, familles et élèves qui seront sensés "faire leur choix" parmi une offre d’options la plus attractive possible et que chaque lycée se disputera.

Un virage très libéral

En outre, l’outil de gestion des ressources humaines qu’est ce CP doit aussi être analysé. Outil de gestion de la pénurie de moyens, mais aussi cautionnaire de cette pénurie puisque ses membres organisent le fonctionnement du lycée à partir de l’enveloppe budgétaire qui lui est fournie, le CP jouera un rôle prépondérant dans le maintien ou la suppression de tel ou tel poste. Dans l’esprit idéologique de la réforme, la pénurie doit engendrer la concurrence pour attiser les rivalités et les collusions les plus cyniques, en sachant que c’est directement à des pairs que ces responsabilités vont échoir. En clair, les membres du CP disposeront d’un réel pouvoir sur le poste de leurs collègues, on peut donc d’ores et déjà imaginer le climat délétère qui risque de peser lourd en salles des professeurs et l’isolement conséquent de chacun, au détriment de nos capacités d’agir et de résister collectivement !

Très orientée politiquement dans un sens libéral, cette réforme induit une approche purement individualiste de l’enseignement, des personnels et des élèves : le mérite n’est qu’individuel, la prise en compte du caractère foncièrement collectif et relationnel des conditions d’exercice de chacun n’a plus lieu d’être et chaque membre de la communauté scolaire est sensé rendre des comptes à une instance nouvelle qui n’incarne rien d’autre qu’un retour à la raideur hiérarchique, mais sous une forme diluée dans l’entre-surveillance et le soupçon banalisés.

Où est la liberté pédagogique ?

Enfin, il reste à déplorer à l’avance la possibilité d’une remise en cause de la liberté pédagogique. Le CP a en effet la compétence de " coordonner les enseignements, de les organiser en groupe de compétences, de noter et évaluer les activités scolaires ". Les professeurs resteront-ils maîtres de leur enseignement et de leur pratique pédagogique, ou ne deviendront-ils que des exécutants de décisions administratives suggérées au CA par le CP, et votées ou arrêtées par le chef d’établissement, et vendues à la cantonade selon la formule bien rodée " dans l’intérêt des élèves et des familles" ?

Le pouvoir a pris les personnels de vitesse en promulguant la réforme par décrets au point que dans certains établissements, la préparation de la rentrée 2010 s’est faite avant la publication des décrets. Tentons un peu d’optimisme : il est plus facile d’obtenir le retrait d’un décret que celui d’une loi.

Il reste que ce qui ce joue en la question n’est rien d’autre que l’avenir du métier d’enseignant dans l’Education Nationale et sa dimension structurante et socialisante en République. Il va de soi pour SUD-Education29 que toute concession à ce Conseil Pédagogique ne peut que contribuer à diluer le service public de l’Education Nationale dans la mise en œuvre d’une ingénierie déshumanisée de la performance, du contrôle individuel et de l’incitation à l’efficacité comptable, aux antipodes de ce dont quoi dépend l’épanouissement du citoyen éclairé moderne.


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