L’école en miettes

vendredi 3 juillet 2020

Depuis le début de son mandat, le ministre de l’Education nationale enchaîne les réformes à un rythme effréné, ciblant notamment l’école à travers 4 piliers violemment attaqués « grâce » à la crise : la gestion des personnels, la territorialisation de l’école, le statut des fonctionnaires, le métier et l’expertise des enseignant·es. Au delà de nous épuiser, il faut prendre la mesure de ce choc sans précédent, de ses conséquences sociales et sociétales, de son aspect profondément inégalitaire.

Notre article, écrit sur la base d’une analyse de Julien Cristofoli (syndicaliste enseignant) tente de dresser un bilan des réformes du ministre avant notre départ en vacances, mais surtout le sien en espérant qu’il soit définitif.

Bonnes vacances à tou.tes. Refaisons le plein d’énergie pour les mobilisation de rentrée !

1er pilier à abattre : la gestion des personnels

L’objectif du Ministre Blanquer est de soumettre le fonctionnement de l’école aux injonctions ministérielles. Dans le 1er degré, l’instauration un échelon hiérarchique au sein des écoles en changeant le statut des directeur.rices revient par la fenêtre après avoir été évacué par la porte. Le nouveau projet de loi, présenté par la député LREM Cécile Rilhac, ancienne cheffe d’établissement, consiste à créer des emplois fonctionnels soumis à une lettre de mission, véritable contrat d’objectifs contraire à toute mission de service public. L’augmentation des décharges pour les écoles de plus de 8 classes entraînera quasi-mécaniquement une tendance au regroupement d’écoles rurales avec les fermetures qui vont avec les économies d’échelle, chères aux managers, ainsi générées.

Lettres de missions via les DASEN, prérogatives décisionnelles sur le conseil des maîtres, mobilité et salaire lié·es au contrat d’objectifs… autant d’armes pour déstabiliser le fonctionnement collégial des conseils des maître·esses, et au final mettre les école au pas du managériat ministériel.

Bien évidemment, cela va de pair avec la volonté de mettre sous l’éteignoir tout expression critique de l’institution, de ses dysfonctionnements structurels organisés, de l’imposition de changements non concertés conduisant à des impasses, de la réalité professionnelle du métier niée… L’ « organisation » de la sortie du confinement aura exposé au grand jour le peu de cas que fait le Ministre pour les cadres intermédiaires que sont les IEN, DASEN, Recteur.trices, quand il n’aura pas été lui-même contre-dit par ses chefs.

Bref, une école verticale, managériale au service d’une économie ultralibérale.

2ème pilier à saper : le cadre national via la territorialisation de l’école

Pendant le confinement, l’école, affublée du concept trompeur de « continuité pédagogique » n’était pas l’école. À la sortie du confinement, ce que les enfants ont trouvé n’était pas non plus l’école mais un lieu destiné à prendre en charge les enfants des salarié.es qui, sous la pression de leur employeur ou de la nécessité de gagner de l’argent, ne pouvaient pas faire autrement que de reprendre le travail. Affectée de protocoles sanitaires pensés et conçus pour protéger la hiérarchie d’une réouverture précoce (contre l’avis du conseil scientifique COVID-19 qui avait préconisé d’attendre la rentrée de septembre), inapplicables tant d’un point de vue organisationnel que d’un point de vue social, elle est devenue un lieu où l’on marche au pas, avec un contrôle permanent de soi et une suspicion systématique envers autrui.

Les protocoles sanitaires drastiques imposés ont donné un pouvoir inédit aux communes sur la gestion interne des écoles, sans en avoir vraiment les moyens. D’où des retours de certain.es élèves et pas d’autres en fonctions des capacités des municipalités à mettre en place le protocole en vigueur. Cet état de fait a créé les conditions de mise en place des 2S2C, en dehors du cadre de l’Éducation Nationale et de ses statuts, prises en charge par les communes, avec leur lot d’inégalités, comme cela avait été constaté lors de la mise en place des TAP. Les communes, en fonction de leur capacité à le faire (offre associative sur le territoire, moyens financiers, volonté municipale,…), auront sollicité les acteur.trices culturel.les locaux.cales, peu enclin.es à refuser des financements en ces temps d’austérité généralisée, pour décliner comme i.elles le pouvaient des activités qui étaient jusqu’à présent créées par les équipes pédagogiques. Il s’agit d’une attaque contre les missions de l’école, une organisation que le Ministre Blanquer souhaite pérenniser.

3ème pilier à torpiller : le statut, garant de l’indépendance des fonctionnaires

La hiérarchie de l’Éducation Nationale, coupée du terrain et elle-même assujettie via des indicateurs de « performances » se retrouve toute puissante face aux enseignant·es suite à la mise à mort du paritarisme. Déjà peu au fait des réalités de terrain, niant la charge de travail et les difficultés grandissantes et sourde aux conséquences très palpables pour nos élèves et leurs familles des inégalités sociales, les Recteur.trices, DASEN et IEN ne sont plus en phase avec la profession.

Leur fonction tend à se limiter à la transmission des injonctions ministérielles ainsi qu’à la remontée de tableaux sur les effectifs, sur l’avancement dans le programme, sur l’absentéisme, sur les résultats des évaluations, etc. Le travail est effacé au profit d’indicateurs permettant de générer indicateurs et autres statistiques qui deviennent un horizon indépassable et un moyen puissant pour imposer des pratiques, des manuels et une gestion déshumanisée.

Depuis des décennies, les velléités hiérarchiques étaient en partie « contenues » par les instances paritaires, qui maintenaient tant bien que mal transparence et l’équité dans le traitement des personnels. Ce faisant, cela garantissait l’indépendance des fonctionnaires vis-à-vis de leur autorité de tutelle, qui avait le devoir d’assurer un contrôler de conformité entre les pratiques et les attendus définis par la Nation.

Les injonctions, mais également les affectations et la carrière vont encore plus contraindre une profession fortement dépossédée de sa légitimité professionnelle. Tout cela constitue de graves régressions...

La fin du paritarisme isole et individualise la profession qui va faire face à une hiérarchie toute puissante. Les cadres communs disparaissent au profit d’une hiérarchie sans contre-pouvoir ni contrôle et qui applique de façon zélée et déshumanisée les réformes en cours. Le terrible précédent de France Télécom doit éclairer et alerter sur les dangers et les risques psychosociaux d’une telle gestion.

4ème pilier à démolir : le métier et l’expertise des enseignant·es

C’est certainement la partie la plus violente de la transformation en cours et en même temps la moins visible de « l’extérieur ». Au travers des évaluations nationales, des guides et maintenant de la mise en place des 2S2C et le déploiement massif du numérique et de l’enseignement à distance, c’est tout le métier qui pourrait basculer vers un travail prescrit, automatisé...

Assujettir les pratiques professionnelles

Depuis sa nomination à la tête de l’Éducation Nationale, le ministre cherche à imposer aux enseignant·es leurs pratiques professionnelles et à réduire la liberté pédagogique, considérée jusqu’à présent comme indispensable à l’efficacité de l’action pédagogique. Liberté pédagogique que le Ministre caricature en la présentant comme un « désordre pédagogico-gauchiste ».

Il s’agit pour JM Blanquer d’imposer ses conceptions personnelles à l’ensemble d’une profession sans que ceci ne puisse donner lieu à au moindre débat contradictoire ; sans que ni la recherche ni même les premier·ères concerné·es - les enseignant.e.s - ne puissent en débattre. Et sans que quiconque puisse évaluer de façon indépendante ni la pertinence ni l’efficacité des politiques éducatives menées.

S’appuyant sur un seul et unique pan de la recherche - les neurosciences - et tournant le dos aux apports des sciences cognitives et plus largement de l’ensemble des sciences de l’éducation, le Ministre tente d’imposer ce que l’on peut qualifier de « neuroéducation » et/ou « neuro-pédagogie ». Il positionne un courant des sciences comme principale boussole, niant les apports issus des pratiques professionnelles et des recherches de l’ensemble des sciences de l’éducation.

Ainsi, les enseignant·es sont dessaisi·es de leur pouvoir d’agir, de leur capacité à concevoir leur métier et leurs pratiques. Elles et ils doivent se soumettre et soumettre leurs élèves à des batteries de tests s’éloignant chaque jour d’une école permettant la construction de sujets agissants et pensants à travers la construction de savoirs et d’une culture commune.

Le déploiement du distanciel

« L’enseignement à distance », testé grandeur nature au prétexte de la crise sanitaire, a vu la prolifération de l’utilisation de logiciels privateurs de liberté et capteurs de données privées. Le confinement a permis un « retour d’expérience » inédit et inespéré tant pour le Ministre que pour les entreprises de la « tech » qui jusqu’alors n’arrivaient pas à percer sur le champ de l’Éducation…

« Quand c’est gratuit, c’est vous le produit »

Car ce qu’apprennent les GAFAM sur leurs utilisateur·trices de « services » fournis « gracieusement » est monétisé à travers la création d’immenses bases de données… L’Éducation en était jusque-là (globalement) préservée. Le « Marché scolaire » qui s’offre aux GAFAM et autres opérateurs privés représente des milliards d’euros de bénéfices potentiels.

Le numérique constitue évidemment un apport et il ne s’agit pas de lui tourner le dos, mais d’interroger les fondements et les objectifs poursuivis par des entreprises cotées en bourses.

E-Primo et le CNED ont été incapables de faire face à l’arrivée soudaine et non anticipée de millions d’utilisateur·trices générant une désorganisation majeure notamment liée au discours ministériel prétendant que « tout est prêt » … quand rien ne l’était. Les outils privés massivement utilisés par les équipes enseignant·es (Zoom et Whatsapp en tête) faute d’outils numériques internes adaptés, fonctionnels et éthiques permettent aux GAFAM de se constituer des bases de données sans précédent qui font peu de cas du respect de nos droits fondamentaux.

Voulons-nous que nos écoles passent entre les mains de Google, Microsoft, Amazon, Apple, Zoom, Facebook, véritables géants ... de la récolte de données et de la surveillance de masse ?!

Un bouleversement hors du commun

L’École Publique française est sur le point d’être transformée, à travers les différents changements systémiques actuellement opérés sans débat ni réflexion collective. À la limitation de l’école aux savoirs prétendument « fondamentaux » et à la compétition de tou·tes entre tou·tes, véritable décalque du système économique qui nous entraîne dans sa chute, opposons et déployons partout une école du « Toutes et Tous capables », une école articulant la transversalité des Savoirs et permettant pleinement de construire une culture commune, une école émancipatrice et libératrice s’appuyant sur les précieuses « ressources » que constituent la recherche et les mouvements d’Éducation nouvelle.


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