Les lycéennes disent non aux injonctions sexistes

jeudi 1er octobre 2020

Les températures atteignent des records en ce mois de septembre, et fort logiquement, les crop-tops se multiplient. Ces hauts courts taillés pour laisser une partie du ventre à l’air libre ne sont cependant pas du goût de l’administration de plusieurs lycées, qui est parfois allée jusqu’à placarder des affiches montrant ces vêtements prohibés barrés d’une croix rouge. Sur les réseaux sociaux,TikTok d’abord, puis Twitter, s’organise alors un mouvement de résistance contre ces injonctions vestimentaires et les remarques dont les jeunes filles sont les cibles. Après un hashtag #BalanceTonBahut, on en vit naître un autre :#Lundi1 4Septembre. En ce jour, les lycéennes étaient appelées à venir vêtues de « manière provocante ». Ce mouvement n’est pas sans en rappeler un autre, survenu à la Maggie Walker School de Richmond,Virginie. En 2014, l’administration avait organisé la mesure de la longueur des shorts des jeunes filles. Si dix d’entre elles le portaient trop court, il serait interdit pour toutes les jeunes filles pour une journée entière. Comme on peut s’en douter, les garçons n’étaient en rien concernés par ces ... mesures. Les élèves avaient répondu en venant, pour les garçons, avec les shorts les plus courts possibles, et les filles avec les tenues les plus couvrantes.

Tenue correcte (?) exigée

En France, aucun texte de loi, à l’exception de celui sur le port de signes religieux, ne restreint la liberté de se vêtir comme bon nous semble. À défaut, c’est le règlement intérieur des établissements qui s’applique, exigeant le plus souvent le port d’une « tenue correcte ». S’il est facile de souligner le fait que définir ce qu’est une « tenue correcte » ne saurait faire consensus, et que ce que ce terme peut recouvrir a bien changé au fil des années, il faut dire que dans les faits, cette mention dans le règlement cause la prohibition de vêtements majoritairement féminins (crop-tops, leggings, pantalon de yoga...). Comment alors justifier la perduration de cette règle discriminatoire ? Pourquoi donc imposer une « tenue correcte » au lycée ? Est-ce pour préparer au monde professionnel, à un moment où il est plutôt entendu que les adolescent·e·s doivent justement pouvoir exprimer leur personnalité à travers leur look, qu’elles ou qu’ils soient gothiques lolitas, punks, métalleux ou à la pointe de la mode ? Un réel apprentissage critique des normes vestimentaires serait audible, peut-être même souhaitable s’il pouvait inclure la question des discriminations, mais est-ce bien ce qui est à l’œuvre ?

Justifications sexistes et culture du viol

En réalité, lorsqu’on demande aux responsables de justifier ces interdictions, ils parlent bien plus souvent d’un risque de déconcentration des garçons, voire des professeurs, qui ne pourraient faire correctement leur travail à cause du décolleté de leurs élèves mineures ... S’il en était encore besoin, Laura Bates, écrivaine féministe britannique à l’origine d’un blog participatif compilant des expériences de sexisme (the Everyday Sexism Project) synthétise pourquoi cela pose problème : « Cela inculque aux enfants que les corps des filles sont dangereux [...] et sexualisés, et que les garçons sont biologiquement déterminés à les chosifier et les harceler. » Ce genre de règles, de justifications, préparent les filles à une société dans laquelle on sexualise les femmes, y compris mineures. Dans laquelle on pratique le slut shaming, c’est-à-dire le fait de blâmer les femmes pour leurs tenues provocantes ou leur vie sexuelle. Dans laquelle on considère qu’avec sa tenue, elle l’avait bien cherché. Bref, une société dans laquelle perdure ce qu’on appelle la culture du viol. Chaque année en France, 93I 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol, et seulement 1 % de ces crimes mènent à une condamnation. (Ce sont ces chiffres qu’Éric Dupont-Moretti, pourtant avocat de carrière avant de devenir garde des sceaux, semblait découvrir le 20 juillet dernier.) En parlant de ministre, Jean-Michel Blanquer n’a pas manqué de s’exprimer sur le mouvement du 14 septembre, affirmant qu’à l’école, il faut venir « habillé d’une façon républicaine ». Sans-culotte peut-être ?

Pour des espaces sécures d’éducation et de socialisation

Le dress-code imposé par les établissements scolaires n’est pas détaché de tout enjeu de pouvoir et de norme sociale. Il hérite naturellement des traits d’une société patriarcale dans laquelle s’épanouit encore la culture du viol. Il appartient à chacun de s’interroger sur ceux-ci, et la communauté éducative a un rôle prépondérant à jouer. C’est justement en créant des espaces où les élèves se sentiront libres et en sécurité, et non en conflit avec les administrations, que de réelles opportunités pédagogiques au sujet des mécanismes de sexualisation, des stéréotypes de genre, de harcèlement pourraient être réfléchies. Compte tenu des messages forts passés par la mobilisation du 14 septembre, des manifestations comme celle de Boulogne-sur-Mer où, dans les bras des jeunes femmes, des pancartes lisaient "La tenue ne justifie pas le viol" et "Protégez vos filles. Éduquez vos fils.", les lycéennes ont déjà un peu d’avance.


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