Souffrance au travail. Et si enfin on en parlait ?

Journal mai 2011
vendredi 27 mai 2011

Journal mai 2011

Les articles

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Edito

Souffrance au travail : et si enfin on en parlait ?

Difficile de parler de la souffrance au travail quand on
est enseignant. Quand on exerce "le plus beau métier
du monde", quand on passe ses journées avec toutes
ces "chères petites têtes blondes", bien au chaud,
quand on est presque aussi souvent en vacances
qu’au travail, on ne peut qu’être heu-reux ! Rien à
voir avec les salariés du bâtiment soumis à de dures
contraintes physiques et météorologiques, ni avec les
ouvriers à la chaîne aux gestes répétitifs, les personnels
de santé confrontés à la maladie et la mort, les
policiers qui risquent presque quotidiennement leur
vie, les caissières des super et hyper marchés, les routiers,
les marins… la liste est loin d’être close. Alors
les enseignants qui souffrent, cela pourrait faire sourire.
Et pourtant...

Un malaise grandissant chez les enseignant-e-s

A travers quatre stages syndicaux organisés cette
année dans le département, nous avions proposé d’aborder
ce thème entre collègues du 1er et du 2nd
degré (le compte rendu de ces stages est consultable ici). A les
entendre parler, nous sentions en effet que le malaise
ressenti par de plus en plus d’enseignants allait
grandissant et que, sans doute, la souffrance, si elle
n’était pas identifiée comme telle, était présente.
Pourtant nous n’avions pas prévu le déferlement de
paroles révélatrices de cette situation : oui, les enseignants
souffrent. Oui, ils sont
de plus en plus nombreux à
l’exprimer après l’avoir tu pendant
très longtemps et il
convient, avant même d’analyser
les causes de cette souffrance,
de connaître les raisons du
silence qui l’entoure.
Trop souvent, l’enseignant en
difficulté est renvoyé à son incompétence par une
hiérarchie plus encline à sanctionner qu’à conseiller.
"Il ou elle ne sait pas s’y prendre, ne travaille pas
assez, n’a pas d’autorité." Ces remarques, on peut les
recevoir des parents d’élèves et aussi, hélas, de ses propres
collègues. Rien de tel pour vous renvoyer dans les
cordes, face à votre "incompétence".

L’absence de lieu de parole dans l’Educ nat

Si l’on se sent assez solide pour parler, à qui s’adresser
 ? Aux collègues certes, mais ils sont souvent eux-mêmes
confrontés à des difficultés comparables ;
alors on tourne vite en rond sans voir le début d’un
commencement de solution. A sa hiérarchie ? Une
autre piste bien vite abandonnée. S’adresser aux cellules
d’écoute mises en place au niveau des académies
 ? Ce dispositif relève plus de SOS amitié que
d’une réelle prise en charge des problèmes. Il en est
de même des services sociaux des IA qui voient leurs
moyens se réduire de façon dramatique et qui peinent
à faire face à la demande. Reste la piste des
dispositifs mis en place par les DRH : elle se traduit
trop souvent par une éviction du système des personnels
concernés par le biais de congés, de réorientation,
de mutations... L’institution répond en médicalisant
les cas, faute de solutions alternatives. Il est à
noter un durcissement progressif pour ce qui est étiqueté
"insuffisance professionnelle". Elle peut entraîner le
licenciement, surtout chez de
jeunes professeurs.
Rechercher les causes
Il faut chercher les causes de la
souffrance au travail dans la
relation que l’enseignant entretient
avec la discipline qu’il
enseigne et avec ses élèves.

Quand il rencontre l’échec dans sa classe, c’est toute sa personnalité
qui est en jeu. Le métier enseignant est de ce point
de vue un métier engageant. L’exposition des professeurs, dans
leur rapport au savoir, est permanente. Le métier enseignant a
toujours fait appel aux ressources personnelles, mais dans le cadre
protecteur d’un système de normes peu soumis à la critique.
Ce n’est plus le cas. De plus, lorsqu’on interroge les personnels,
des causes plus "objectives" de leur souffrance apparaissent :
 La charge de travail s’accroît. Les diverses activités de la
journée, les tâches administratives, les exigences liées aux
évaluations se multiplient !
 L’alourdissement des effectifs, même si nos ministres s’emploient
à démontrer qu’en moyenne, le ratio élèves /professeur
n’arrêterait pas de baisser !
 Les cours doubles, voire triples qui se multiplient.
 Les formalités administratives qui augmentent, la "paperasserie"
si souvent brocardée.
 Les activités nouvelles, le rythme
accéléré des changements de programmes,
de méthodes qu’il faut
maîtriser…
 Le sentiment que la "gestion des
ressources humaines" menée par
les chefs d’établissement est
empruntée aux entreprises, gestion
encore compliquée par l’arrivée
massive de personnels en grande
précarité.
 Une formation initiale insuffisante,
pas toujours en adéquation avec
le "terrain" et qui entraine trop
souvent une plongée sans préparation
dans un monde scolaire que
l’on ne connaît que par les souvenirs
de sa propre scolarité : les collègues
précaires héritent de postes
difficiles sans autre préparation que
celle du concours.
 La formation continue, réduite
ces dernières années à "peau de chagrin" ne permet pas la
réactualisation des savoirs et des pratiques.
 Et que dire de l’isolement ? Isolement géographique dans
des postes en pleine campagne. Isolement affectif, pour des
hommes et des femmes éloignés de leur famille au gré des
affectations. Isolement pédagogique dès que l’on quitte les
centres départementaux.
 Enfin, un manque de reconnaissance de l’institution ellemême
 : la responsabilité de l’échec scolaire que l’on fait porter
aux personnels. Il n’y a qu’à lire le dernier rapport du Haut
Conseil de l’Education et les résultats des fameux tests PISA
qui classent la France en mauvaise position. Ces études
relayées par les médias contribuent à augmenter la pression
du côté des parents : ils posent leurs exigences en termes de
rentabilité, difficilement conciliable avec l’idée d’une formation
globale de l’enfant.

Des professionels à l’écoute des enseignants

Le docteur Rechtman, psychiatre, directeur de La Verrière,
trace le profil type de ses patients : plutôt une femme en
milieu de carrière. La durée moyenne de séjour est d’un mois
environ. Près de 1000 patients se font soigner chaque année.
Sont concernés aussi les professeurs en début de carrière
confrontés à des "stress" cumulés : l’exercice du métier et les
problèmes matériels liés à leur installation, leur éloignement,
leur mobilité, le fractionnement de leur service… Les professeurs
en fin de carrière ne sont pas épargnés. Expérimentés
certes, mais "déboussolés" par l’accélération et la multiplicité
des réformes contradictoires entre elles ou contraires à la
vision qu’ils ont de leur rôle et de leur mission. "Les enseignants
ne sont pas plus exposés que d’autres professions aux
souffrances psychiques, mais ils font un métier qu’on ne peut
pas exercer quand on est mal. Un prof ne peut pas soigner sa
dépression face à 30 élèves turbulents" précise le docteur
Rechtman.

Une souffrance grandissante

La souffrance part du simple stress inhérent à beaucoup d’activités
humaines, sentiment de malaise
aux contours mal définis, qui est
déjà un signal d’alarme. Puis elle grandit
et se fait angoisse. De là à la dépression,
le chemin n’est pas long si aucun
dispositif de repérage et d’accompagnement
n’est mis en place. Cette
souffrance peut aller jusqu’au suicide.
Des cas de suicides sur les lieux du travail
ont commencé à être rapportés
par les médecins du travail vers la fin
des années 1990.
La souffrance au travail est de moins
en moins tabou, de nombreuses études
voient le jour, les médias s’en font
l’écho et ce phénomène devient
même un enjeu de santé national. Des
groupes de travail comme le Collectif
de prévention du suicide au travail de
la Manche présidé par le psychiatre G.
Boittiaux se constituent. Ils contribuent
à alerter les institutions en fournissant
des observations et des données
de plus en plus précises. Dans l’inventaire des professions
à risques, celle d’enseignant figure en bonne place.

Une mise en danger de notre intégrité mentale

"Les Français souffrent et ne le disent pas. Comment faisons nous
pour tolérer le sort des chômeurs et des "nouveaux
pauvres" ? Et comment parvenons-nous à accepter sans protester
des contraintes de travail toujours plus dures, dont
nous savons pourtant qu’elles mettent en danger notre intégrité
mentale et psychique ?" se demande Christophe
Dejours, psychiatre et psychanalyste. Les spécialistes préconisent
de développer tout ce qui permet au travail de devenir
un espace de réelle solidarité. Sensibiliser, alerter, écouter,
évaluer, former sont aussi des directions à prendre.
Mais les politiques ultralibérales qui sont développées dans
ces dernières décennies ne vont pas dans ce sens : mise en
concurrence des salariés, compétitivité et rentabilité accrues,
développement de nouvelles normes, de protocoles aux
objectifs inaccessibles, individualisation des contrats, casse
des protections sociales et entraves au collectif pèsent de plus
en plus lourdement sur les salariés et engendrent ces situations
de souffrance.


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