Pseudo réforme mais vraie évolution des représentations

mercredi 14 mars 2012

A quelques semaines de l’élection présidentielle,
il est frappant de constater que le bilan
officiel du quinquennat Sarkozy en matière
d’éducation ne fait l’objet d’aucune publication.
Que ce soit sous forme statistique, ou de
rapports de chercheurs et de l’Inspection
Générale commandés par le ministère, il règne
une sorte d’omerta autour de la question scolaire.

Pourtant, les critiques publiques fusent : rapport
de la cour des comptes, renvois de palmes
académiques de membres de jurys de
concours, témoignages de hauts fonctionnaires
dans la presse nationale, dont les conclusions
sont accablantes en ce qui concerne la
formation des enseignants ou les suppressions
massives de postes qui compromettent gravement
le principe d’égalité des chances à l’école.
La question de l’assouplissement de la carte
scolaire, qui a été une des promesses phares de
la campagne de 2007 (et en cela aussi de la
candidate PS Royal !) n’échappe pas à la règle,
ce qui n’est pas le moindre des paradoxes pour
un président qui voulait introduire la « culture
du résultat et de l’évaluation » au coeur des
politiques publiques.

Une réforme qui nuit aux élèves les moins favorisés

Il revient aux chercheurs indépendants de se
servir des faits pour permettre une bonne
compréhension de la mutation en cours. Le
site du Café Pédagogique du 23 février dernier
publie un entretien intéressant avec Nathalie
Mons, maître de conférences en sociologie à
l’Université de Paris-Est, qui explique pourquoi
la réforme de la carte scolaire entérine le
renoncement à une éducation de qualité dans
tous les établissements et nuit aux élèves de
milieux défavorisés.

Elle s’appuie sur une étude approfondie de des
effets de cette réforme sur la mixité sociale,
réalisée dans des conditions difficiles d’accès
aux données statistiques objectives, des entretiens
avec des professionnels de l’éducation,
des parents… et des acteurs nationaux ayant
quitté le ministère ou des cabinets ministériels
qui ont expressément souhaité l’anonymat
(sic).

Nathalie Mons mène son enquête sur deux
niveaux distincts : un bilan des processus
objectifs à l’oeuvre, puis le changement de ressenti
subjectif vécu par les parents et personnels
de l’Education Nationale.

Des acteurs nationaux et locaux
en opposition

D’abord, la sociologue met le doigt sur la différenciation
des stratégies menées par les
acteurs nationaux et locaux. La communication
nationale offensive axée sur la disparition
de la carte scolaire en 2010, qui a marqué le
début du quinquennat en 2007-2008, a incité
au départ les Inspections Académiques dans
de nombreux départements à satisfaire très
largement les demandes des familles, dans de
véritables campagnes de dérogations à la carte.
Logiquement, les établissements relevant de
l’éducation prioritaire en ont subi de plein
fouet les effets, avec des pertes d’effectifs
menaçant à terme leur existence : selon N.
Mons, un tiers des collèges RAR de la métropole
auraient perdu un quart de leurs effectifs
en 6ème si toutes les dérogations à la carte
avaient été accordées !

Rien d’étonnant à ce que les réactions des
Conseils Généraux aient été négatives. La
réforme bafouait leurs compétences de sectorisation,
avec le non-respect des secteurs qu’ils
avaient définis, et menace par la même occasion
la pérennité des parcs immobiliers.

Dans un second temps sont apparus des effets
pervers liés à l’exigence de rigueur budgétaire.
Le dispositif effectivement construit par Xavier
Darcos (qui n’était pas favorable à la réforme
 !) conditionnait le droit à la dérogation à
l’existence de places disponibles dans les établissements
demandés. Or, les capacités physiques
et plafonds de sécurité sont fixés par les
Collectivités Locales, notamment pour les établissements
prestigieux de centre-ville où les
contraintes de bâti sont bien réelles. Aussi,
dans une seconde phase de la réforme, les IA
ont fini par opposer aux demandes des
familles les restrictions de capacités disponibles.

Au détriment des boursiers et
du collège unique

Chose remarquable, c’est au réseau de l’éducation
prioritaire qu’à partir de 2009, le verrouillage
des dérogations a été principalement
appliqué, au point que le taux d’acceptations
pour ces établissements est devenu inférieur à
celui de l’ensemble des établissements. Fi,
donc, de l’imagerie ministérielle du boursier
orienté vers la réussite en s’éloignant du ghetto
 ! Ce sont ces derniers qui ont été sacrifiés
par cette réforme, en contradiction avec le discours
officiel, d’autant plus que les familles
modestes qui n’ont pas toujours les moyens
de se permettre un éloignement scolaritédomicile
restent attachées à un service éducatif
de proximité, et n’ont pas répondu positivement
à ces opportunités.

La sociologue révèle d’autres effets systémiques
qui ont marqué le fonctionnement des
établissements en difficultés, dans la grande
majorité des départements, où on y a enrichi
l’offre de formation avec des classes bilingues,
européennes, sportives… afin d’y garder les
familles favorisées. Avec ces effets de compétitivité
chers aux libéraux, ces dispositifs se sont
révélés être une menace pour le collège
unique, dans la mesure où les dérogations aux
programmes communs d’enseignement y ont
accru l’hétérogénéité des conditions d’études !

Traitements différenciés et nouvelles
représentations de l’école

Si la réforme est objectivement très loin d’avoir
produit ses effets pratiques, ses retombées sur
les représentations des différents acteurs et usagers
de l’école sont tout de même avérées.

La communication massive promettant la fin de
la carte scolaire a largement contribué à légitimer
l’image des "ghettos scolaires" déclassant
l’apprentissage. Le traitement différencié au plus
haut niveau des établissements a libéré les usages
opportunistes de la réforme en y associant
une nouvelle vision de l’Institution en termes de
hiérarchie, de concurrence et d’inégalités territoriales,

[(« le choix de l’école est de plus en plus
considéré comme un plein droit et non
plus un passe-droit, et beaucoup conçoivent
ouvertement certains territoires
comme un handicap dans la carrière
scolaire de leurs enfants »
)]

pleinement assumée. Chez les parents,
cette perception hiérarchique nouvelle a désinhibé
la parole sur le sujet, le choix de l’école est
de plus en plus considéré comme un plein droit
et non plus un passe-droit, et beaucoup conçoivent
ouvertement certains territoires comme un
handicap dans la carrière scolaire de leurs
enfants. On peut voir que les intentions stratégiques
et consuméristes de "placement" et d’
"investissement éducatif" s’imposent au détriment
des valeurs égalitaires qui, même en décalage
avec la réalité concrète, participaient pleinement
de l’école républicaine.

L’heure du marketing scolaire

Des effets du même acabit émergent chez les
professionnels de l’éducation, en particulier aux
niveaux les plus déconcentrés. Les stratégies de
"marketing scolaire" auxquelles ont été
contraints des chefs d’établissement pour la survie
des établissements ont servi de support à des
classes de niveau tant scolaire que social, et cette
valorisation de l’offre a placé l’univers de la
concurrence au centre des représentations nouvelles.
Les projets ambitieux et la communication
qui les accompagne a exacerbé le ressenti de
la concurrence ambiante, a fortiori depuis la
suppression des commissions décentralisées de
bassin qui réunissaient les chefs d’établissements
pour gérer les dérogations,
qui avaient le mérite de faire décroître
ce sentiment de concurrence.

Les traces que laissera ce quinquennat
ne sont pas minces, et si la politique
a su démontrer qu’elle peut
faire bouger les lignes, ça l’a été par la
négative. Confusionnisme, rivalités
et compétition se sont pleinement
invités parmi les représentations partagées
de la chose scolaire. C’est la
victoire paradoxale des libéraux et
des budgétaires, au détriment des
valeurs égalitaires et républicaines.


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