Enseignant-e-s, du malaise au mal-être. Enquête sur les conditions de travail en Finistère, SUD Education 29

mardi 14 mai 2013

Nicole Roux – MCF sociologue – UBO-ARS EA 3149 Atelier de recherche sociologique

Travail suivi et réalisé par :
Olivier Cuzon, Sylvie Horellou, Denise Le Gac, Solenn Le Goues, Danièle Leyer, Sébastien Ménès, Michel Boury, Emmanuelle Abiven – enseignants adhérents SUD-Education 29
Cyril Labous – psychologue CHU de Brest


En janvier 2011, SUD Education 29 a initié deux journées de formations intitulées : « Souffrance, stress, pression, hiérarchie… nos conditions de travail en question », animées et coordonnées par Cyril Labous, psychologue au CHU de Brest.
La synthèse des échanges a permis d’identifier cinq facteurs de stress : les difficultés intrinsèques à la fonction, la polyvalence ou dilution des missions, le poids du contrôle et de l’évaluation directe et indirecte, l’attaque de l’identité ou la remise en question identitaire, la rapide mutation de l’établissement scolaire en nouvelle culture d’entreprise.
A l’issue de ces travaux, il semblait intéressant d’aller plus loin et en particulier d’essayer de mesurer la pertinence des facteurs isolés à partir des témoignages émanant de la formation, à un échantillon d’enseignants plus large.
L’idée d’une enquête par questionnaire diffusée à l’échelle du département s’est imposée. Un atelier de co-production de savoirs (Atelier où se partagent entre tous : les acquis de la formation précédente des uns, les expériences et la connaissance du terrain des autres et un savoir-faire méthodologique) rassemblant les participants à la formation volontaires pour poursuivre ce travail et une sociologue, adhérente, se met en place pour réaliser le questionnaire, en assurer la diffusion, la saisie et le traitement des données.
Cet article propose de décrire et d’analyser les facteurs possibles de malaise voire de mal- être : la place de l’évaluation, le rapport à la hiérarchie, les effets des interactions au cours de la journée de travail avec les parents, les enfants, et enfin, le rapport au travail lui-même. Pour terminer, nous dessinerons à grands traits, un état général du mal-être au travail des personnes ayant répondu au questionnaire à partir des indicateurs de santé. Ces résultats seront mis en perspective par les travaux du Dr J.Mario Horenstein, psychiatre, qui a réalisé une enquête sur les mêmes thématiques entre octobre et décembre 2004 auprès des enseignants du Premier et Second degré pour la MGEN (J.Mario Horenstein, 2006).


Encart méthodologique et échantillon

L’enquête s’est déroulée en mode de passation indirect en janvier-février 2012 (les répondants ont rempli eux-mêmes le questionnaire) : soit des exemplaires papiers laissés dans les écoles par les adhérents de SUD Education 29, soit par internet (questionnaire mis en ligne sur le serveur de SUD).
Au total 255 questionnaires exploitables sur 287 saisis.
Il s’agit d’un échantillon de répondants volontaires, il ne sera donc pas fait de généralisation au niveau du Finistère, ni à l’ensemble de l’Education Nationale. Les résultats sont donnés uniquement pour la population de répondants à cette enquête.


L’évaluation et l’inspection, le stress inutile

Il convient d’emblée de distinguer les enseignants du Primaire et du Secondaire. Pour les enseignants du Primaire, le dispositif d’évaluation se confond pour eux avec l’inspection. L’inspecteur est l’interlocuteur direct et unique dans le processus d’évaluation avec une incursion très ponctuelle dans l’école.
En revanche, pour les enseignants du Secondaire, l’Administration de l’établissement, c’est-à-dire le chef d’établissement, intervient dans l’évaluation et se caractérise par une présence continue au côté de l’équipe pédagogique. L’inspection y est vécue comme formelle, voire une formalité nécessaire à l’avancement de leur carrière.

« Je m’en soucie peu. Je constate que la note correspond plus à une progression administrative qu’à une réelle évaluation des pratiques. » (homme, 42 ans, professeur de mathématique au lycée)
« C’est une procédure profondément injuste. Je l’ai attendue pendant des années, réclamée par courrier, j’ai dû déposer une plainte pour l’obtenir au bout de plus de 10 ans !!! Du coup, l’échange a été glacial avec l’IPR. Cela entraine des déroulements de carrière incroyablement injustes entre collègues. Cela déprime et démotive quand on fait son taf plus que sérieusement ... » (homme 44 ans, professeur d’histoire-géographie au collègue)
« Peu motivante, la note proposée par le chef d’établissement est systématiquement refusée et revue à la baisse par le Rectorat ! » (femme, 35 ans, professeure d’anglais détachée dans l’enseignement supérieur)
« Je viens d’être inspectée, je n’ai pas encore reçu ma note. Ça n’a aucun sens de juger une personne pendant des années sur une seule heure de cours. Pour une même préparation, suivant le contexte (classe, horaire, époque de l’année,..) une séance peut être très réussie ou complètement ratée. De plus, on prépare une séance pour l’inspection, en y mettant ce que l’inspecteur veut voir et pas forcément ce qu’on fait d’habitude, c’est complètement artificiel. » (femme, 40 ans, professeure de mathématique au collège)

On aurait pu penser que les enseignants du Secondaire, plus âgés dans notre échantillon, auraient un nombre d’inspections plus important, mais il s’avère que ce sont les enseignants du primaire qui font plutôt l’objet d’inspections régulières. A ancienneté équivalente un enseignant du Primaire a plus souvent vu un inspecteur dans sa classe qu’un enseignant du Secondaire.

Nombre d’inspections à ancienneté équivalente selon le niveau d’enseignement :

niveau d’enseignement Ancienneté 1 2 à 3 4 et plus
primaire de 10 à moins de 15 18.2 68.2 13.6 100
secondaire de 10 à moins de 15 58.3 37.5 4.2 100

Seulement 80 des interrogés ont répondu à la question du ressenti de l’inspection. Ils sont mitigés sur l’intérêt et l’utilité de cette pratique qu’ils ne trouvent pas formatrice, ni motivante, qui n’est pas une épreuve facile ; ils disent en effet qu’elle peut être plutôt « juste » et intéressante selon la personne qui réalise l’inspection.

Dans les remarques plus développées, on peut percevoir qu’il y a une véritable demande de reconnaissance du travail réalisé qui n’est pas toujours à la hauteur de ce qu’attendent les enseignants.

« J’ai apprécié d’être reconnu dans mon travail par la note attribuée car on a toujours tendance à ne voir que ce qu’on ne fait pas bien et à être l’objet de critiques de la part des parents. On dit rarement lorsque c’est bien... » (femme, 30 ans professeure des écoles)
« Grosse déception sur cette note qui ne collait pas avec les appréciations plutôt élogieuses de mon travail. D’où un petit sentiment d’amertume car il y a peu de reconnaissance pour un boulot difficile (4 sections différentes dans la même classe). C’était aussi la 1ère fois que je subissais une double inspection (j’ai bifurqué vers le bilingue il y a 5 ans). Et en même temps un gros soulagement de m’entendre dire que c’était bien ce que je faisais. » (femme, 39 ans, professeure des écoles)
« Mon investissement n’a pas été apprécié à sa juste valeur. » (femme, 40 ans, professeure de mathématique au collègue)

Les inspections sont citées par l’ensemble des enseignants parmi les premières situations de stress. Les critiques sont très variables selon le vécu, mais il y a un consensus assez large sur l’idée qu’il s’agit d’un stress plutôt inutile. En deuxième situation de stress, le rapport aux parents est indiqué pour les enseignants du Primaire et celui aux élèves pour les enseignants du Secondaire, nous le verrons par la suite. Et en troisième, pour les deux niveaux d’enseignement vient la hiérarchie qui, comme l’évaluation, ne renvoie pas à la même réalité en premier ou second degré. Ces résultats et les suivants sont concordants à l’enquête menée par Eric Debardieux et Georges Fotinos (2012 - rapport de l’observatoire international de la violence à l’école).

Le rapport à une hiérarchie plutôt distante

En fonction du niveau d’enseignement, « l’administration » ne renvoie pas à la même réalité. Dans les collèges et les lycées, il y a une administration de proximité, avec un chef d’établissement qui est l’interlocuteur direct pour le corps enseignant. Par contre dans les écoles primaires, l’interlocuteur n’est pas dans la proximité immédiate et quotidienne, cela renvoie à l’échelon de l’IEN (inspecteur de circonscription).
Cette réalité explique certainement le fait que plus de la moitié des enseignants du Primaire répondent qu’ils ne se sentent pas soutenus par leur administration en situation de conflit. Les équipes sont formées autour d’une direction qui est assumée par l’un ou l’une d’entre eux. C’est donc entre collègues que se joue le travail d’organisation et d’administration de l’école avec une charge de travail spécifique pour celui/celle qui accepte la fonction de direction plus ou moins choisie, plus ou moins reconnue selon des contextes très variables.
Parmi les enseignants du Primaire ayant répondu, 22,8% ont une charge de direction, parmi eux 25 sur 30 ont choisi cette fonction. Une minorité affirme qu’elle leur est imposée ou qu’ils n’ont pas pu passer le relais à un autre membre de l’équipe. 25 ont une décharge et les autres n’ont pas de décharge pour la fonction. Le directeur ou la directrice entretient un rapport égalitaire de collègue à collègue au sein de l’école, ils ne perçoivent pas et ne vivent pas cela comme des rapports hiérarchiques entre eux. La majorité des personnes ayant une charge de direction ne la vivent pas comme une activité valorisante dans leur travail. Ils/elles estiment que le volet administratif et la logique gestionnaire, occupent de plus en plus leur temps au détriment de celle du développement d’un projet pédagogique pour l’école.

Pour les enseignants du Secondaire, le contexte est très différent. Même s’ils se disent plutôt soutenus par leur administration en cas de conflit, presqu’1/3 des enseignants du Secondaire sont critiques sur les rapports avec celle-ci, seulement 11% font état de situations plutôt négatives, les autres soulignent la quasi-absence de rapports.

Pour les enseignant-e-s du secondaire, les rapports avec l’Administration :

- Effectifs Fréquence
Cordiaux/professionnels 20 17.5%
Corrects/courtois/respectueux 26 22.8%
Bons à très bons 30 26.3%
Difficiles, tendus/moyens et hiérarchiques 13 11.4%
Aucun à rares, voire distants, impersonnels 22 19.2%
Trop de turn-over/variables 3 0.2%
Total 114

Sur l’ensemble de l’échantillon, nous avons donc 5% de répondants qui affirment un malaise avec une hiérarchie de proximité, et les 2/3, surtout les enseignants de Primaire, trouvent leur administration distante, impersonnelle et pas vraiment impliquée à l’égard de leur préoccupation professionnelle quotidienne.
Cette indifférence est à mettre en relation avec la demande de reconnaissance précédemment décrite au cours de l’évaluation. Il y a là, des personnels enseignants profondément impliqués dans leur travail qui ne trouvent et n’entendent que rarement un écho de la part de leur administration sur la qualité de leur travail. Ce silence est vécu comme un désintérêt de leur administration de tutelle pour la mission qu’ils remplissent. D’autant plus quand celle-ci intervient et rappelle sa présence uniquement lors des logiques comptables de fermeture/ouverture de classe, de redéploiement de postes. Cette situation renforce l’idée d’avoir à faire à des gestionnaires peu soucieux des réalités de terrain. Il reste à voir si les nouvelles politiques mises en œuvre vont pouvoir redonner confiance et sérénité aux enseignants quant à leur rapport avec leur hiérarchie. C’est-à-dire une hiérarchie soucieuse de la qualité de la mission qu’ils remplissent au quotidien auprès de la population.

La pression des parents

Les enseignants du Primaire se sentent tiraillés entre une administration distante d’un coté et un contact quotidien avec des parents demandant des comptes de l’autre : ils sont en première ligne pour entendre le mécontentement de la population à l’égard des politiques publiques mises en œuvre en matière d’éducation. Ils sont comme les autres collègues des services publics situés aux guichets, devant expliquer et justifier des choix qui ne sont pas les leurs, comme les réductions de moyens par exemple. En face, ils ont une population qui a une réelle exigence en matière d’éducation sachant l’enjeu d’avenir que les parents associent à la réussite scolaire de leurs enfants. Le rapport aux parents apparaît comme la deuxième source de stress pour les enseignants du Primaire.
Sur l’ensemble de la population ayant répondu, ¼ des enseignants signalent qu’ils ont eu des difficultés avec les parents au cours de la dernière année écoulée. Les interactions plus ou moins conflictuelles se jouent quotidiennement lors de l’entrée ou de la sortie de l’école pour les enseignants du Primaire.
Les enseignants du Secondaire ne croisent qu’exceptionnellement les parents lors des échanges ritualisés au moment des réunions parents-professeurs. Les parents défilent les uns après les autres, limitant strictement les échanges à la lecture des résultats scolaires.
Quelque soit le niveau, les enseignants remarquent que les parents les remettent en cause régulièrement soit par rapport à la notation, au choix de redoublement ou de l’aide personnalisée. Tout ce qui relève de l’évaluation des élèves peut faire l’objet, de la part des parents, de contestations plus ou moins agressives.
Les enseignants (environ 15%) se disent lasser de devoir sans cesse se justifier auprès de parents qui ne veulent pas entendre leurs arguments. Ceux-ci ont souvent une idée toute faite de ce qui serait de l’intérêt de leur propre enfant en matière de parcours scolaire et s’arcboutent sur leur idée. Les parents portent de plus en plus une culture du résultat, eux-mêmes angoissés par l’échec de leur enfant, au détriment de l’idée de sa progression, de son rythme. Ils sont eux-mêmes les vecteurs d’une idéologie dominante qui a modélisé en norme le rapport de cause à effet entre la réussite scolaire et la réussite professionnelle et sociale. Devant cet état de fait, un propos basé sur des arguments pédagogiques ne fait pas le poids face aux arguments idéologiques qui façonnent l’ordre social.
En même temps et à l’inverse, les enseignants soulignent leurs difficultés à entrer en contact avec certains parents, pour les rencontrer. Il y a donc des parents également trop absents, alors que les enseignants sont aussi les premiers à reconnaître que chacun des adultes a un rôle spécifique à jouer pour l’enfant dans son rapport à l’école.
Quand le partage des rôles ne se fait pas, quand la compréhension des rôles de chacun est brouillée par des systèmes idéologiques construits en référence à la peur de l’avenir, le dialogue est très difficile à nouer et les situations conflictuelles ne peuvent que se multiplier. Le climat quotidien tend à se détériorer, quelques faits divers viennent le souligner, mais ces situations qui restent exceptionnelles, sont le symptôme d’une pression latente, pesante, et continue, source de stress.

Le rapport aux élèves eux-mêmes selon leur nombre et leur comportement

Un lieu commun revient sans cesse pour affirmer que les enfants des années 2010 ne seraient plus les mêmes que ceux des années précédentes. Les enfants seraient plus difficiles, plus dissipés, plus agités, turbulents… Mais les facteurs pour identifier le problème du rapport aux enfants sont nombreux pour tenter d’expliquer ce qui serait le plus pertinent :
 le contexte socio-économique et ses effets sur les modes de vie,
 le contexte socio-éducatif familial et institutionnel,
 les « enfants de la télé » devenus les enfants des nouvelles technologies ou les « petites poucettes » (Serres 2012),
 le vieillissement d’une partie des enseignants eux-mêmes et l’évolution de leur seuil pour supporter le bruit, le mouvement,
 des formes d’apprentissages inadaptées aux nouvelles générations…

L’enquête interroge deux dimensions : les conditions de travail à travers le taux d’encadrement et le ressenti par rapport aux comportements des enfants.
Les enseignants ne tiennent pas à jour, sur l’ensemble de leur carrière, le nombre d’élèves qu’ils ont par classe. Ils expriment un ressenti et sur les 5 dernières années, ils ne constatent pas de baisse d’effectifs dans leur classe.
Sur l’ensemble des répondants, pour ceux qui ont plus de 5 ans d’ancienneté, ils sont plus de 40% à déclarer qu’ils ont plus d’élèves qu’avant, et 1/3 autant d’élèves. Selon les années, les disciplines, leur mobilité géographique, il est difficile de faire une estimation. Si nous ne devions retenir qu’une seule chose : aucun ne signale une baisse significative des effectifs et tous soulignent que les seuils maximum sont maintenus dans les classes au détriment de conditions qui seraient plus favorables pour tous, y compris pour les élèves.
Les enseignants du Secondaire sont 56% à déclarer qu’ils ont plus d’élèves qu’avant dans les classes et ¼ affirment que pour eux, il y a autant d’élèves qu’avant. Les enseignants de langue indiquent le plus souffrir de cette situation qui ne leur permet pas de travailler comme ils le souhaiteraient avec les élèves.

Ces conditions d’encadrement tendant toujours au seuil maximum d’élèves par classe ne favorisent pas la possibilité de gérer la situation quand les enseignants sont confrontés à un problème de comportement de la part de quelques élèves. Quelque soit le niveau d’enseignement, les difficultés dans la classe sont identifiées par rapport à des élèves précis au comportement « perturbateur » pour presque 50% des enseignants tous niveaux confondus. Les signes d’agitation dans la classe sont ensuite identifiés pour 22% en raison d’un problème lié à la difficulté de maintenir l’attention des élèves. Pour eux, cela serait à mettre en relation avec les rythmes scolaires obligeant la programmation d’apprentissage sur des temps qui ne sont pas toujours adaptés (durée de la journée, créneau horaire…). Seulement 6% des répondants déclarent avoir quelques problèmes avec le groupe (soit 18 enseignants de notre échantillon : 6 en primaire, 5 au lycée et 7 au collège).

Mais les raisons du stress ne viennent pas tant des élèves que des conditions dans lesquelles enseignants et élèves se retrouvent en situation d’interaction pédagogique qui pourrait être plus efficiente avec des effectifs appropriés. Tous s’accordent pour souligner que cela permettrait une plus grande attention aux élèves qui en ont le plus besoin, le nombre d’élèves ayant un effet immédiat sur une quantité de travail et d’énergie à fournir.

Le travail : une préoccupation constante mal reconnue

Un constat est très largement partagé : plus de 80% des enseignants du Primaire ressentent que la pression en quantité de travail a nettement augmenté. La surcharge de travail administratif est la raison la plus souvent invoquée. Il s’agit d’un travail qui n’a pas directement de sens pour eux. Ils ont l’impression de répondre à un nombre d’injonctions administratives croissantes qui relèvent plus de la logique quantitative que qualitative. Ces heures passées à remplir des tableaux, à réduire à une information quantitative la complexité de leur travail réel est frustrante. Ils ont le sentiment que cela fait disparaître le sens de leur action, voire l’invisibilise et par conséquent la dévalorise. Dans leur pratique, ils/elles relèvent des éléments qualitatifs, ces « petits riens » du quotidien de l’enseignant quand après quelques semaines de répétitions ou d’exercices, un de leurs élèves parvient à faire cet exercice sur lequel il butait. Mais le tableau d’évaluation est déjà rempli… Ils/elles se battent tous les jours pour ce type de progrès et leur administration leur demande un état des lieux à un instant t qui n’est pas toujours le rythme de leur classe, de leurs élèves. Ils/elles ne travaillent pas à la même échelle que l’administration.

Mais la qualité ou quantité de leur travail ne se mesure pas uniquement dans le face-à-face avec les élèves et les résultats de ces derniers à tel ou tel test d’évaluation ou examen.
Une partie du travail se fait en dehors des murs de l’école, presque tous les enseignants ramènent du travail à la maison et consacrent pendant l’année scolaire une partie de leur week-end à leur activité professionnelle.

Travail le week-end selon le niveau d’enseignement Primaire/Secondaire

- Secondaire Primaire Total
Souvent 29.4% 19.5% 24.4%
Toujours 56.3% 65.9% 61.2%
Rarement/de temps en temps 14.3% 13.8% 14.0%
Jamais 0.8% 0.4%
Total 100.0% 100.0% 100.0%

Plus de 60% des interrogés travaillent toujours le week-end, si on ajoute le ¼ qui déclare que cela arrive souvent, au total plus de 85% des enseignants quelque soit le niveau, consacre une partie de leur week-end au travail.
Les enseignants souffrent d’un réel préjugé sur leur temps de travail, la réalité qu’ils donnent à voir quand ils comptent leur temps de travail est très différente.
Pour les enseignants du Primaire à plein temps, seulement 15,7% estiment travailler 35 heures par semaine, un tiers entre 35 et 39 heures par semaine, un quart entre 39 et 44 heures par semaine et enfin un quart plus de 44 heures par semaine. Les institutrices les plus jeunes consacrent le plus d’heures à leur travail.
Pour les enseignants du Secondaire qui ont entre 15 et 20 heures en face à face avec les élèves, seulement 4% estiment travailler moins de 10 heures en dehors des cours. Soit des semaines entre 25 et 30 heures pour quelques exceptions, mais plutôt des semaines entre 35 et 40 heures pour un tiers, des semaines de plus de 40 heures pour la moitié des interrogés.

Les enseignants du Primaire qui ont le temps de présence le plus continu à l’école sont également ceux qui ont une journée de travail quasiment continue, 75% des enseignants du primaire font une pause méridienne sur place avec les collègues qui est souvent réduite à minima (moins de 45 minutes) pour 45% d’entre eux. Et ce moment est perçu à la fois comme utile pour le travail et agréable. Ces moments d’échanges informels ne sont pas vécus comme pesants. Quand il s’agit de partager leurs pratiques, leurs expériences, de discuter de projets communs, ils ne comptent pas leur temps. Quand il s’agit de consacrer plus de temps que prévu à leur préparation de cours, ils/elles ne regardent pas leur montre car ils/elles savent que les « bénéficies » qualitatifs qu’eux-mêmes et leurs élèves vont retirer de ce travail ne rentrent pas dans les évaluations et les tableaux de bord de l’administration.

Entre l’intensité de l’énergie à fournir lors des heures en présence et le souci continu de leur activité, les interruptions de cours arrivent toujours comme un soulagement et une nécessité pour se recharger. Il y a une réelle incompréhension du type de fatigue et d’usure que ce métier provoque auprès du grand public. Et pour les enseignants eux-mêmes, la surcharge administrative est vécue comme un mépris de leur administration à l’égard de ce qu’ils considèrent comme le cœur de leur métier et qui a du sens pour eux contre des logiques qui semblent déconnectées de leur réalité.

Du travail non reconnu au travail mal aimé

Un clivage semble se dessiner parmi les répondants autour de trois pôles :
 les désabusés (11%) dont la moitié sont prêts à quitter l’enseignement et l’autre moitié pense que c’est un contexte particulier,
 des personnes qui trouvent que le métier est devenu difficile dont un frange peut finir par basculer parmi les désabusés (36%),
 et enfin ceux qui aiment ce métier (50%) malgré certaines activités qui n’ont plus de sens pour 19,6%.

Dans notre échantillon, les femmes expriment plus le fait de trouver ce métier difficile et cela n’est pas lié à leur surreprésentation parmi les enseignants du Primaire, car toutes choses égales par ailleurs quelque soit le niveau d’enseignement, Primaire ou Secondaire, les femmes expriment plus cette difficulté que les hommes.
42% des enseignants de moins de 35 ans ayant répondu à l’enquête expriment le fait que « bien qu’ils aiment le métier, il est difficile ».
L’enquête MGEN de 2004 fait le même constat de jeunes enseignantes qui expriment une certaine souffrance à l’égard des conditions d’exercice de leur activité.
Cela pose le problème de l’entrée dans la profession pour une nouvelle génération passée par des formations dont les réformes successives contribuent également à les déstabiliser. Elle arrive sur des emplois dans une situation où l’image du métier est dégradée et qu’elle trouve difficilement vivable.
Les difficultés sont liées pour une part au ressenti par rapport à la quantité de travail pour ceux qui aiment encore le métier. Par contre, pour ceux qui n’aiment plus le métier, ce n’est pas la charge de travail, mais tout un ensemble d’éléments qui pose problème, et se traduit par la perte de sens.

Ils sont plus de la moitié des répondants à affirmer qu’ils ne conseilleraient pas leur métier à des jeunes de leur entourage. Et effectivement, ce sont ceux qui sont le plus en difficulté voire en souffrance qui leurs proposeraient plutôt de choisir une autre orientation.

Typologie : mal-être au travail et santé

La fin du questionnaire d’enquête visait à recueillir des données sur l’état de santé déclaré par les répondants.
Ils sont 26% à indiquer que le travail a été une cause de leur arrêt maladie au cours de ces 5 dernières années. Ils sont plus de 40% à prendre des médicaments de temps en temps ou rarement pour affronter leur travail. Ils sont plus de 60% à affirmer avoir des troubles du sommeil en raison de leur travail.
Si on cumule les indicateurs, ils sont 31,7% à avoir à la fois des troubles du sommeil et à prendre des médicaments. Ils sont 19% à prendre des médicaments et à déclarer avoir eu un arrêt de travail ayant pour cause leur travail. Ils sont 13% des répondants à avoir déclaré le cumul arrêt de travail/prise de médicament et trouble du sommeil, lié au travail lui-même.
Ces 13% sont aussi ceux précédemment identifiés comme « désabusés » avec une majorité ayant un profil plutôt de jeunes enseignant-e-s du Primaire qui trouvent que leur métier est difficile (n=34).
Au total, c’est 56 interrogés de cette enquête que l’on peut identifier comme étant en réel situation de mal-être.

Les résultats de cette enquête sur le mal-être enseignant sont à prendre très au sérieux d’autant plus si on considère que le Finistère est perçu comme une mutation enviable. En effet au niveau national, beaucoup d’enseignants travaillent sur des territoires où les populations cumulent des difficultés socio-économiques plus importantes qui touchent parents et enfants, et par conséquent leurs comportements. Quelque soit le contexte plus ou moins favorable, il semblerait que tous les enseignants soient touchés à un moment ou à un autre de leur carrière par le spleen qui se répercute sur leur état physique et moral. Pour la violence d’un parent, d’un ado faisant l’objet de l’actualité dans la rubrique des faits divers, c’est un quotidien de petits reproches de parents, d’énervement d’enfants, d’une administration tatillonne qui explique le malaise d’une partie des enseignants en mal de reconnaissance. Ce mal-être se traduit à bas bruit par des dépressions aux formes plus ou moins graves et par des statistiques qui ne sont toujours pas faites ou rendues publiques du suicide des enseignants.


Bibliographie

 Eric Debardieux et Georges Fotinos, 2012, L’école entre bonheur et ras-le-bol, Rapport de l’observatoire international de la violence à l’école, 76 pages.
 Brigitte GONTHIER-MAURIN, Sénatrice, rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (1) par la mission d’information sur le métier d’enseignant (2),N° 601 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012, Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juin 2012, 101 pages
 J.Mario Horenstein, 2006, La qualité de vie au travail des enseignants du Premier et du Second degré, Ed. MGEN
 Michel Serres, 2012, Petite poucette, Editions Le Pommier, Paris


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