Présentée comme une mesure phare et indispensable par le ministre lui-même, la réforme des rythmes scolaires - bonne idée en soi - a fini par devenir une usine à gaz inquiétante pour tous les intervenants de l’école, sans que les bénéficiaires annoncés - les élèves - semblent en tirer un quelconque bénéfice. Alors à qui profitent les rythmes ?
Aux enfants ? Non
C’est pourtant au nom de l’intérêt des enfants que cette réforme a été initiée, à juste titre d’ailleurs tant la semaine de 4 jours Darcos étaient une aberration. Pourtant au final, on ne voit pas en quoi la journée de l’élève est allégée, encore moins la semaine, puisque le cadre horaire a été maintenu, ne retirant que 45 minutes par jour et ajoutant le mercredi matin. De plus, comme les Temps d’Activités Péri-éducatives (TAP) sont instaurés après la classe, la journée garde la même amplitude. Il suffit de regarder un emploi du temps établi à Brest ou Paris pour se rendre compte que les rythmes de vie des enfants ne sont pas à la base de cette réforme : aucune régularité, des journées aussi lourdes qu’avant ; aucune volonté nationale, mais à chaque école son fonctionnement ; des TAP profondément inégalitaires, en fonction des possibilités des municipalités, allant de l’offre " grand luxe " (astronomie, théâtre, violon…) à la simple garderie, profitant évidemment toujours aux mêmes catégories sociales déjà culturellement favorisées ; la gratuité est mise à mal, certaines communes faisant payer les TAP. Les enfants ne sont en rien les bénéficiaires de cette réforme.
Aux enseignants ? Non
Les enseignants se font encore une fois rouler dans la farine : leurs conditions de travail se dégradent, leur temps de travail ne baisse pas, leur salaire n’augmente pas ; pire, Peillon leur fait l’aumône d’une prime à moins d’un euro par jour ! L’aide personnalisée est maintenue, sous une forme réduite. On a le sentiment que ce ministre n’a pas d’ambition réelle, qu’il n’a pas le courage de diminuer le temps de présence en classe des enseignants du primaire, de déconnecter le temps de l’enseignant du temps de l’élève, pour permettre un meilleur travail en équipe et avoir plus de maitres que de classe (encore une revendication syndicale oubliée par cette réforme sans ambition !).
Que va-t-il se passer pour les collègues à
temps partiels, celles et ceux (jeunes et
nombreux) qui assurent les postes "bouche-
trous" dits "décharges" ou " compléments
de service ", les remplaçants ? On
s’attend à une belle pagaille et à une grogne
de rentrée certaine.
Les enseignants, encore une fois, sont
méprisés par leur hiérarchie.
Aux municipalités ? Non
Le taux de refus des maires de France pour passer dès cette rentrée à la semaine Peillon (81.4%) est un indice caractéristique du casse-tête organisationnel et financier de cette réforme : où trouver des animateurs compétents, où trouver le financement, tant l’aide de l’Etat est insuffisante. Seules les communes déjà engagées dans de tels processus d’accompagnement scolaire après la classe ont adhéré avec enthousiasme, de nombreuses autres adhérant au projet par conformisme idéologique (solidarité gouvernementale, diront certains).
Se lancer dans une telle organisation une année électorale est une gageure que peu ont voulu tenter, malgré la possibilité d’entrer un peu plus dans les écoles et la pseudo " manne " financière que le ministre leur a fait miroiter.
Aux parents ? Non
Si pour la famille "lambda" (2 parents travaillant, enfants utilisant les services de cantine et garderie) cette nouvelle organisation change peu les habitudes de vie, il est à craindre que dès 2014 ou 2015 les TAP ne soient plus gratuits. Sans compter la rupture de l’égalité, qui favorisera les parents aisés vivant sur des communes riches, dont les enfants participeront à des TAP de qualité, tandis que les enfants des classes défavorisées, rurales et urbaines, se contenteront de taper dans un ballon dans la cour de récréation…. Au final, la pingrerie de l’Etat pour financer les TAP se traduira inéluctablement par une hausse des impôts locaux.
A l’éducation nationale ? Non
Qu’y gagne l’institution ? Le flop retentissant qui s’annonce va desservir le discours réformateur du ministre (sur le départ lors du prochain remaniement ?). Il laisse la profession amère et méfiante, désabusée et démotivée, renforcée dans son sentiment d’abandon et de déclassement.
Comment l’Education nationale espère-t-elle faire le plein aux prochains concours dans cette ambiance ? Personne ne comprend pourquoi Peillon s’est entêté dans cette réforme des rythmes, nécessaire certes, mais pas urgente, alors que nous attendions tous de nouveaux programmes, une diminution des effectifs dans les classes, un retour à une formation initiale de ce nom, etc…, mesures bien plus urgentes et nécessaires. On a le sentiment d’une réforme sans ambition, sans idées, sans argent.
Mais à qui alors ?
Finalement, si personne n’est satisfait par cette réforme minimaliste, brouillonne et précipitée qui n’a pas su dépasser le cadre de la journée et de la semaine pour s’attaquer à une réforme des rythmes à grande échelle, en repensant le temps des vacances par exemple, à qui profitent les rythmes ?
A l’industrie du tourisme, qui conserve ses précieuses vacances zonées. Aux associations proches de l’Education, qui voit leur place accrue dans l’école ; mais en ouvrant la porte à des officines privées, n’a-t-on pas aussi introduit le loup libéral dans la bergerie du " marché de l’éducation " ? Ainsi, pourquoi Total finance-t-il les TAP, Total plus connu pour ses désastres écologiques et humains (marées noires, AZF,…), ses licenciements (raffineries) ou sa pingrerie quand il faut payer l’impôt (paradis fiscaux) ? Quel est l’intérêt de ces grosses sociétés du CAC40 à entrer dans les écoles par la petite porte des TAP ?
Un intérêt sûrement très différent que celui que nous réclamons pour l’école : une école pour tous, laïque, émancipatrice et gratuite.