Retours sur 6 mois de mobilisation contre la loi Travail

mardi 24 janvier 2017

Une mobilisation qui a mis du temps à démarrer mais d’une ampleur inédite dans la forme et la durée

Après l’annonce par le gouvernement PS du projet de loi El Khomri visant à détricoter le code du travail, les réactions syndicales ont été un peu longues à se mettre en place. Il a fallu attendre qu’une pétition électronique recueille plus d’un million de signatures pour qu’émerge une première date de mobilisation le 9 mars. Entre le 9 mars et le 15 septembre, plus d’une dizaine de dates de mobilisation et de grèves ont été appelées par l’intersyndicale CGT-FO-FSU-Solidaires-Unef. Une manifestation nationale d’envergure a réuni des milliers de personnes à Paris le 14 juin.
Pendant des mois, des milliers de salarié-e-s ont fait grève et ont défilé, conscient-e-s du recul historique pour notre classe sociale que constituait le vote de cette loi. La majorité des Français-e-s était opposée à cette loi pour laquelle le président élu en 2012 n’avait aucun mandat.
On peut se réjouir de ce vent de politisation qui a parcouru le pays : le phénomène des Nuits Debout (autour du film de François Ruffin, « Merci Patron ») a pris une ampleur inédite que personne ne pouvait prévoir. Même si la sociologie des participant-es serait à analyser plus précisément, les pratiques de débats et d’horizontalité des échanges ont été intéressants et ont permis à de nombreuses personnes de se réapproprier le débat politique. Les Nuits Deboutistes ont incriminé les stratégies intersyndicales trop timides alors qu’il était souvent reproché aux Nuits Debout leur inefficacité et leur absence de structuration et de réponse 9**politique.

Le retour des « jeunes »

La mobilisation est partie des lycées. Il s’agissait pour la plupart des lycéen-ne-s de leurs premiers pas dans l’engagement. Pendant près de trois semaines, les cortèges lycéens et étudiants ont mené les manifs. La répression policière, les pseudos concessions aux organisations dites de jeunesse et l’approche des examens ont malheureusement enterré le mouvement qui n’a d’ailleurs jamais vraiment pris d’ampleur dans les universités.

On bloque tout ?

L’idée d’un blocage de l’économie comme levier important dans la construction du rapport de force fait son chemin. L’appel « On Bloque Tout » signé par des militant-e-s syndicaux d’horizons divers mais porté en grande partie par des camarades de Solidaires a sans doute contribué à populariser cette idée. La difficulté majeure a été d’articuler et de coordonner les blocages d’activités par les grévistes des secteurs concernés eux-mêmes. Cela a pu être le cas pour les raffineries ou les ports. Cela était moins vrai dans d’autres endroits où les salarié-e-s n’ont pas toujours été partie prenante de blocages initié par des salarié-e-s extérieurs.

Vers une nouvelle radicalité ?

Face au dispositif de maintien de l’ordre sans commune mesure avec ce que nous connaissions par le passé, on a pu noter une nouvelle forme de radicalité assumée au-delà du cercle traditionnel des manifestant-e-s dits « radicales et radicaux ». Des groupes ont publiquement assumé cette radicalité et cette volonté d’en découdre avec les forces de l’ordre. Cette stratégie peut s’avérer être un frein à la massification des cortèges.

Des freins puissants à un mouvement de grève reconductible

Le bilan qui avait été fait par l’Union Syndicale Solidaires après les mobilisations de 2010 contre la réforme des retraites avait mis en cause les stratégies de l’intersyndicale (IS) de l’époque. En 2016, elle a été principalement limitée à la CGT, Solidaires, FO et FSU. Elle n’a pas réussi à entraîner suffisamment de pans du salariat dans la grève et dans la grève reconductible.
Éclatement de plus en plus fort du salariat, individualisation grandissante et précarité accrue des salarié-e-s, difficulté d’avoir des collectifs militants combatifs sur les lieux de travail, capables de faire sortir les salarié-e-s dans la rue : la faiblesse des organisations syndicales est un facteur à prendre en compte. Ce n’est pas faute d’avoir essayé pour la plupart des OS. L’interpellation classique : les "bureaucraties syndicales onttrahi" ne nous semble pas efficiente pour ce mouvement. Certes les temporalités d’appel à la grève auraient pu être meilleures, certes certaines organisations syndicales n’ont pas voulu aller résolument au combat. Même si plusieurs secteurs (bastions syndicaux historiques) ont pesé dans le mouvement en causant un blocage partiel de l’économie, dans les ports, les raffineries, le nettoyage, cela n’a pas suffi. Pas sûr qu’un appel national, même unitaire, à la grève générale reconductible ait entraîné plus de salarié-e-s dans l’action. La faiblesse également des liens interprofessionnels est à prendre en compte. Il n’y a finalement eu que peu de territoires avec des assemblées générales interprofessionnelles efficaces et représentatives de secteurs mobilisés.

La faiblesse de la mobilisation dans la Fonction Publique a également pesé. Ce mouvement a été vécu par les fonctionnaires comme relevant uniquement du privé. De plus, dans l’Éducation Nationale, on assiste à un important repli catégoriel. Les personnels ont de plus en plus de mal à s’impliquer dans des mobilisations interprofessionnelles, alors qu’il est déjà difficile de mobiliser les personnels de l’EN sur des revendications unifiantes entre le 1er degré et le 2ème degré (sans même parler du Supérieur ou des personnels non enseignants).

Les salarié-es rechignent à faire grève. Les situations précaires rendent les grèves difficiles (salaires insuffisants, isolement, craintes de perte d’emploi...) Les journées de grève saute-mouton ne permettent pas que les revendications puissent aboutir, donc pourquoi les travailleurs-ses perdraient-ils leur journée de salaire pour une cause perdue d’avance ? Dans de nombreux secteurs (comme dans l’EN), les grèves gênent peu et ne bloquent rien. Seule la grève reconductible dans les secteurs bloquants peut contraindre un gouvernement à négocier mais trop peu de travailleurs tiennent sur la durée parce qu’ils/elles se sentent isolés. De plus, le gouvernement de François Hollande en 2016 a calqué sa stratégie sur celle de Sarkozy
en 2010 : ne rien lâcher et attendre que la mobilisation s’épuise en renforçant toujours les dispositifs répressifs.
La répression policière et les techniques de maintien de l’ordre à l’égard des cortèges ont effrayé bon nombre de salarié-e-s. Jamais la police n’avait été aussi provocatrice à l’égard des cortèges syndicaux, dans les grandes agglomérations : utilisation de grenades de désencerclement,...
La nouveauté réside dans l’utilisation de l’arsenal législatif relevant de l’État d’urgence pour restreindre les libertés publiques et individuelles : interdiction de manifester, interdictions préventives individuelles de manifester, assignation à résidence de militant-e-s etc... Ne soyons pas dupes : il s’agit là d’une volonté délibérée du pouvoir de mettre l’accent dans les médias sur la supposée violence des manifestant-e-s en tentant de diviser le mouvement social et d’isoler les contestataires du reste de la société.

Quelles perspectives ?

Confronter le bilan des mobilisations de 2010 avec celui de 2016 met en évidence que, malgré des stratégies syndicales plus combatives, les mêmes effets ont été produits ce qui nous pose question pour les prochaines mobilisations.
« L’idée qu’il n’y a pas d’alternative possible aux reculs sociaux dictés par le libéralisme et la mondialisation est un mensonge qui fait recette. Combattre ce fatalisme doit être une des premières exigences d’un véritable syndicalisme de lutte . (...) L’Union syndicale Solidaires (...) n’a cessé de proposer de construire un rapport de force interprofessionnel et unitaire, malheureusement sans beaucoup d’effets étant donnés les rapports de force intersyndicaux actuels et nos capacités d’initiatives propres. La situation doit nous amener à questionner nos propres responsabilités, les campagnes, initiatives et propositions que nous portons auprès des salarié-e-s. » (Pour une remobilisation du monde du travail - Texte adopté lors du 7ème congrès de la fédération SUD éducation)


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