Plus d’un tiers des enseignant·es a aujourd’hui plus de 50 ans. En 2013, l’âge moyen de départ en retraite des
enseignant·es du premier degré était légèrement au dessus de 58 ans, entre 61 et 62 ans pour le second degré. En 2021, il avait augmenté de 2 à 3 ans pour le premier degré et de 1 à 2 ans dans le secondaire. Et
continuera d’augmenter. Car il ne vous aura pas échappé qu’il va falloir travailler plus longtemps. Malgré la magnifique et historique mobilisation des salarié·es l’an dernier, Macron a quarante-neuf-troisé sa « réforme ».

Comment fait-on pour tenir en classe ?

Les discours publics critiquent volontiers le conservatisme voire l’incompétence des enseignant·es âgé·es face aux évolutions du métier ou aux attentes des familles, ignorant leur expertise.
En 1989, Michael Huberman, dans un article de référence (Les phases de la carrière enseignante, Revue Française de Pédagogie, n°86, pp. 5-16) décrit les trois cycles de la carrière d’un·e enseignant·e : l’exploration, puis la stabilisation, et enfin la crise et le défi. Mais ça, c’était avant…
Les caractéristiques du dernier cycle (« crise et défi », après 10 ans d’ancienneté) sont-elles toujours valables aujourd’hui, en 2023, alors que la carrière s’allonge ? Selon Huberman, la pensée critique et l’autonomie
de l’action apparaissaient comme des conditions favorables pour les enseignant·es en fin de carrière, pour bien vivre les dernières années de classe. En effet, l’élément qui revient le plus souvent dans le discours des enseignant·es est que si ces deux conditions ne sont pas réunies, le travail perd de son sens et de son intérêt.

Et qu’il devient de plus en plus difficile d’enseigner, de garder l’envie et le plaisir de le faire.
En fin de carrière, iels agissent de façon à préserver voire augmenter leur autonomie, ce qui s’accompagne d’une distance critique à l’égard des injonctions de la hiérarchie. Iels utilisent ces outils pour filtrer et écrémer le
flot d’injonctions institutionnelles, pour n’en retenir que les plus pertinentes pour leur travail et leurs élèves, en s’appuyant sur des routines efficaces, se nourrissant de leur créativité et de leur expérience, tout en sachant se remettre en cause, et en tenant compte de la nécessité d’alléger le poids du travail quand l’âge augmente. Le souci de préservation de soi, de sa santé, coexiste avec des engagements choisis et l’existence de micros cycles d’engagement et de désengagement, afin de se ménager. Ainsi, à l’intérieur des cycles décrits par Huberman, se trouveraient d’autres cycles enchâssés (activité/pause), recettes de travail réel pour
aménager le travail contraint et le subvertir pour durer heureux·ses en travaillant.

L’insupportable poids de la subordination

Mais les politiques actuelles visent à réduire l’autonomie et l’esprit critique, à vider le métier de son sens, à accentuer sa subordination pour n’être plus qu’un·e technicien·ne appliquant des procédures créés par des sachant·es extérieur·es, déconnecté·es du terrain qu’on ne consulte surtout pas. En dépossédant les enseignant·es expérimenté·es (mais aussi l’ensemble des enseignant·es) de leur expérience et savoir-faire, en les privant de leur autonomie et en proscrivant l’esprit critique, l’administration va augmenter les cohortes d’enseignant·es âgé·es, usé·es, désabusé·es, justes fonctionnel·les, caricatures du « vieux prof aigri ».
Le recul de l’âge de la retraite, sans mesures spécifiques pour les plus de 60 ans, va encore plus mettre à mal les fragiles équilibres de travail trouvés par les enseignant·es en fin de carrière. Avec le risque évident d’aggraver leur état de santé (psychique et physique), et d’augmenter les fins de carrière difficiles. Cela exige de remettre en question l’allongement des carrières et les « réformes » purement comptables et de mettre en débat la question des fins de carrière et des critères de qualité du travail à tout âge. De plus, une réforme ignorant la réalité du travail ne peut qu’accroître la crise d’attractivité du métier.

Nous ne voulons pas finir usé·es !
Au-delà de 60 ans, pas un jour de plus !