Inégalité sociales et scolaires : le désenchantement

jeudi 17 janvier 2013

Dans sa dernière parution de décembre dernier, la revue Education
et Formation a réactivé la réflexion sur les facteurs sociaux de l’inégale
réussite scolaire des élèves. Une analyse menée par deux sociologues
du CNRS (Mathieu Ichou et Louis-André Vallet : " La formation
des inégalités sociales d’éducation à l’école ") prolonge les
précédents travaux en la matière en se penchant sur l’action
actuelle des deux facteurs principaux de différenciation que sont
l’écart de performances scolaires moyennes entre enfants d’origine
sociale éloignée (effet primaire de l’origine) et la variabilité des
décisions d’orientation à performances scolaires similaires (effet
secondaire de l’origine sociale).

L’apport de la sociologie de l’éducation

A partir des années 60, le caractère déterminant de ces variables a
été largement démontré à tous les points de bifurcation du système
éducatif en France, pour attester de l’absence de démocratisation
des chances de réussite scolaire. Le premier aspect du problème
qu’est l’inégalité de comportement et de performances due à l’influence
du milieu familial est au centre des travaux de Pierre
Bourdieu tandis que le second a été mis en avant par Raymond
Boudon pour souligner que, même à égalité de résultats, la probabilité
d’une orientation " réussie " dans des études longues ou
d’une " relégation " vers des filières courtes était largement corrélée
à l’origine sociale des élèves. Bourdieu emploie le terme de "
causalité du probable " pour considérer qu’il y a là un ajustement
des espérances scolaires subjectives des familles aux probabilités
objectives de succès propres à leur milieu social.

D’une cohorte à l’autre : l’effet primaire.

Ichou et Vallet partent d’une comparaison entre les dispositions et
les parcours scolaires étudiés sur deux cohortes, l’une étant les
entrés en 6ème en 1962 et l’autre les entrés en 6ème en 1995.
Comme on le sait, dans la France des années 60 les niveaux
moyens de performances avant l’entrée en 6ème, en 2de ou dans
le supérieur était les plus élevés pour les enfants des classes supérieures,
intermédiaires pour ceux de la classe moyenne et les plus
faibles pour les enfants d’ouvriers. Mais ces écarts de niveaux entre
les extrêmes qui étaient à leur maximum à l’issue de l’école élémentaire
se réduisaient nettement en fin de 3ème et devenaient
négligeables en fin de lycée (l’écart-type de performance passait de
0,614 en fin de primaire à 0,062 en fin de lycée pour la cohorte
1962). Il a été démontré qu’après une élimination massive et précoce
en fin de primaire, les enfants d’ouvriers " survivants " au collège
et lycée différaient de moins en moins de leurs camarades
d’origine élevée du point de vue de leur réussite scolaire.
La comparaison historique est édifiante : pour la cohorte 1995,
l’écart de performances entre enfants de classe supérieure et
enfants d’ouvriers est devenu plus fort à la fin du collège que pour
la précédente (presque 0,7 d’écart-type contre un peu plus de 0,1
hier). Pour un même stade de scolarité, l’écart de performances
selon l’origine sociale des élèves est donc devenu plus ample, tout
en tenant compte du fait que les points de bifurcation fondamentaux
qui étaient trois dans les années 60 (11 ans, 15 ans et 18 ans),
ne sont plus que deux dans les années 90-2000 (15 ans et 18 ans).
La première sélection " formelle " intervient aujourd’hui à la fin du
collège, et les enfants d’ouvriers de 3ème qui formaient pour la
cohorte 1962 une fraction sélectionnée de tous les enfants d’ouvriers
forment aujourd’hui la quasi-totalité des enfants d’ouvriers
de la cohorte 1995.

Les taux de transition scolaire : l’effet secondaire

Dans les années 60, l’inégalité d’entrée en 6ème selon les milieux
sociaux résultait davantage de l’inégalité d’orientation que de l’inégalité
de performance, à niveau de réussite donné. Cette tendance
s’est renforcée pour la cohorte 1962 dans les bifurcations ultérieures
selon le suivi qui en a été fait. A tous les stades les plus avancés
des parcours dans le système des années 60, du bac à l’université
ou aux classes préparatoires, l’impact de l’effet primaire de la performance
devenait presque négligeable devant l’inégalité d’orientation
comme effet secondaire.

Il en va différemment dans le système des années 90-2000. Au
premier point de bifurcation qui se situe au terme du collège lors
du passage de la troisième à la seconde générale et technologique,
l’inégalité globale se partage à parts égales entre inégalités de réussite
et inégalités d’orientation. Il en va de même pour l’entrée dans
les classes préparatoires, alors que l’inégalité globale entre élèves
issus des classes supérieures et élèves de milieux populaires apparaît
quasi inexistante à l’entrée à l’université.

L’inégalité a changé de nature.

On remarque donc une augmentation dans le temps de l’effet primaire
et une diminution de l’effet secondaire de l’origine sociale
des élèves sur leurs chances de réussite scolaire. Alors que l’inégalité
de réussite ne jouait qu’un rôle mineur dans l’inégalité globale
pour la cohorte ancienne, c’est à peu près la moitié qui lui en
revient dans la cohorte la plus récente.

En quatre décennies, l’inégalité des chances à l’école a partiellement
changé de nature et est devenue bien plus "méritocratique ".
Si la nature de l’inégalité a évolué, celle des représentations de
celle-ci est appelée à évoluer en fonction de cette réalité croissante
de " classes ". Mais pour l’heure, et loin du discours de " classes "
qui lui serait associé, il semble que le propos d’Antoine Prost en 97
continue de faire écho au ressenti de nombreux élèves et familles
modestes au parcours scolaire obstrué : " Avant la réforme, les victimes
de la sélection pouvaient en rendre responsable le système
qui ne leur avait pas donné leur chance. En leur donnant apparemment
leur chance sans combattre efficacement les pesanteurs
sociologiques, la réforme des collèges a rendu les élèves responsables
de leur échec ou de leur succès. Elle a transformé en mérite ou
en incapacité personnelle ce qu’on avait auparavant imputé aux
hasards de la naissance. La charge des inégalités n’incombe plus à
la société, mais aux individus. "

Il va sans dire que le poids de cette souffrance sociale est
aujourd’hui de plus en plus partagé par l’ensemble des personnels
éducatifs, dont la souffrance au travail résulte très largement de ce
décalage entre les ambitions novatrices affichées à chaque réforme
et la faiblesse des moyens systémiques mis à disposition pour les
concrétiser.


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